dimanche 20 mai 2007

Le jour essentiel

Malgré le calmant que j’avais avalé, j’ai ouvert les yeux très tôt mercredi matin. Je ne sais pas à quelle heure exactement, mais il faisait toujours nuit dehors.

Les yeux ouverts dans le noir, j’essayais d’évaluer l’heure à laquelle j’entrerais en salle d’opération. Une infirmière, à qui j’avais posé la question, m’avait dit qu’on ne le saurait qu’au matin, que le docteur Foldès commençait à opérer à 9h30 et qu’il y avait beaucoup de patientes.

Je me disais qu’étant arrivée la veille, j’allais sans doute passer parmi les premières, ou tout au moins avant celles qui arriveraient le matin.

J’ai été ravie, quand vers 8 heures, une infirmière est venue me dire d’aller prendre ma douche. Elle m’apportait un petit gobelet sur lequel mon nom était écrit au feutre, suivi de la mention « 8h30 ». Dans le gobelet, il y avait un comprimé comme celui que j’avais pris la veille et aussi un gros comprimé effervescent. Elle m’a indiqué qu’il fallait que je les prenne, avec très peu d’eau, à mon retour de la douche, même si « je n’avais pas l’air d’avoir besoin d’un calmant » selon elle.

C’est avec un grand sourire que, toute contente, j’ai quitté la chambre, au moment même où ma voisine arrivait. J’allais sans doute être opérée tôt. Sinon, l’effet des calmants allait finir par s’estomper.

En revenant de la douche, j’ai revêtu le vêtement bleu marine qui m’avait été remis la veille (une sorte de chemise à mettre « à l’envers », avec les fesses à l’air) puis j’ai pris les médicaments et je me suis allongée sur mon lit sans plus me relever, suivant les instructions de l’infirmière. Elle m’avait expliqué que la tête me tournerait un peu après avoir ingéré les cachets et qu’il ne fallait pas prendre le risque de tomber.

Les minutes passaient et mon impatience grandissait. Impatience est vraiment le mot qui caractérise le matin de ce mercredi 16 Mai.

Ma voisine de chambre, en chemise bleue elle aussi, un gobelet sur lequel il était marqué « 9h30 » posé devant elle, m’a souri avec hésitation. Puis elle m’a demandé si j’allais moi aussi me faire opérer « d’en bas ». Quand j’ai acquiescé, elle a commencé à m’expliquer qu’elle n’avait jamais eu de plaisir. Pas une once. Depuis le début de sa vie sexuelle. Je ne savais pas quoi lui répondre. Je n’avais pas envie de lui répondre, en fait. J’avais hâte qu’on vienne me chercher. Elle m’a demandé mon origine, je lui ai demandé son prénom, on s’est souri, puis on s’est tues.

Vers 10h, un jeune homme en pyjama bleu avec une charlotte sur la tête est venu me chercher. J’ai quitté mon lit pour m’installer sur le brancard qu’il avait apporté. Il m’a couverte d’un drap bleu puis m’a emmenée. Il était drôle, il faisait de l’humour dans l’ascenseur métallique qu’on a pris pour rejoindre le bloc, deux étages plus bas.

J’ai attendu quelques minutes dans une sorte d’antichambre, sous une couverture de survie, avec une charlotte sur la tête. Il faisait froid. Et ma joie retombait doucement. J’y étais presque. Je me sentais un peu flottante.

Arrivée dans le bloc 2, je me suis installée sur une drôle de table semblable aux tables d’examen des gynécologues, avec des étriers au bout. Là, les étriers étaient fait pour qu’on y mette les pieds mais aussi pour soutenir les mollets. Correctement placée, j’avais en fait le dos sur la table, les fesses dans le vide, les jambes légèrement repliées et les bras en croix, posés sur des sortes d’accoudoirs.

Une infirmière est venue me fixer un appareil pour mesurer la tension au bras droit. En me couvrant (il faisait vraiment froid), elle m’a regardée et m’a demandé si j’étais inquiète. C’est avec un tout petit filet de voix que j’ai dit « oui », avant de rectifier « en fait, je suis émue, je crois ». « Tout ira bien » m’a-t-elle rapidement répondu avant de quitter la pièce.

Je n’étais pas triste mais j’avais envie de pleurer. Les minutes passaient sur la grosse horloge blanche que je voyais dans le couloir. Je me demandais vaguement si, finalement, le docteur Foldès n’avait pas eu un accident en venant, le matin.

Puis, vers 10h15, Docteur Iceberg est arrivé pour m’anesthésier. « On s’est déjà vus » m’a-t-il dit. « Oui, je me souviens de vous » ai-je répondu. Il m’a posé une perfusion dans le bras gauche, un truc assez sophistiqué avec deux entrées, entouré d’un énorme sparadrap. Il est ensuite sorti discuter avec d’autres personnes dans le couloir.

Pendant ce temps, les larmes me montaient aux yeux, débordaient et commençaient à couler sur mes joues.

L’arrivée du docteur Foldès dans le bloc vers 10h30 a fait bondir mon cœur. Il était là, vivant, souriant, il allait m’opérer. LE moment que j’avais attendu depuis si longtemps était arrivé. C’était donc à ça que ça ressemblait un miracle. Je n’arrivais plus à retenir mes larmes.

« Ah ! Mademoiselle XXX! Alors nous allons réparer le clitoris et aussi… ». Il n’avait pas fini sa phrase, et me regardait, comme pour vérifier que je me souvenais de ce qui était convenu. « On répare aussi les petites lèvres » me suis-je dépêchée de dire. « Oui. Je vais chercher les produits » a-t-il déclaré en quittant la pièce.

Au moment où il sortait, le docteur LaBanquise commença à injecter le contenu translucide d’une seringue dans ma perfusion. Il injecta aussi le contenu laiteux de deux autres seringues, puis me posa un masque à oxygène sur le visage, m’enjoignant de respirer dedans. « Vous allez dormir » me dit-il.

Je me rappelle avoir eu une drôle de sensation dans la tête. Comme des picotements. Puis je me suis brutalement endormie.


(à suivre. Le récit étant plutôt long, je l'ai découpé en plusieurs parties. La suite, demain. Promis)

13 commentaires:

lalita a dit…

Le plus dur c'est quand on est dans le bloc, immobilisée sur une table, laissée là comme un paquet ! Autour, chacun a quelque chose à faire et nous, on doit attendre !
Je revois un souvenir vieux de deux ans !
J'espère que ta douleur s'est estompée ! Es-tu arrêtée quelques jours ?
Je te souhaite un très bon dimanche.
Bises.

papillon a dit…

Ah oui, je suis d'accord Lalita. C'est un moment terrible, je trouve.
J'ai nettement moins mal aujourd'hui. En fait, à chaque jour qui passe, j'ai moins mal. Et je suis arrêtée jusqu'à vendredi prochain.
Moi aussi, je te souhaite un excellent dimanche et je t'embrasse.

Anonyme a dit…

C'est très émouvant de lire ton récit, comme une belle aventure dont on sait la fin heureuse :-)

A. a dit…

Papillon, c'est merveilleux de te lire encore et j'espère que tout continue d'aller bien.

Anonyme a dit…

C'est trés émouvant Papillon, je vient de lire plusieurs billets d'une traite car cela faisait un moment que je n'étais pas venue sur ton blog. C'est super que tu te sois faite opérée ! ça y est ! :-) j'espère que tu n'as pas trop mal aujourd'hui... Bises

Cornélie a dit…

C'est super de te lire et de voir que tu vas bien!
Merci encore de nous donner toutes ces explications, c'est précieux pour celles qui vont suivrent ce chemin de reconstruction après toi!
J'ai travaillé pendant quelques années auprès de personnes qui ont subi l'inceste pendant l'enfance, et je trouve des similitudes entre ce que tu écris et ce qu'elles exprimaient, surtout au niveau des difficultés relationelles avec leurs familles... c'est peut-être parce l'excision est liée à la sexualité.
Bon courage pour la reconstruction émotionnelle qui accompagne cette nouvelle étape!
Prend bien soin de toi ;-) toute mon amitié.

Tellinestory a dit…

Il n'y a pas de smiley qui figure le genre de geste que je voudrais... une épaule contre une épaule? une pression du bras? quelque chose pour dire la sympathie, l'envie de de tirer avec toi sur ce fil qui conduit à une vie nouvelle, le sentiment d'une victoire de la vie? un truc dans le genre en tous cas.

Anonyme a dit…

Oh, j'ai trèèèèès envie de lire la suite ! J'espère sincerement que ça s'est bien passé !

Bises

Anonyme a dit…

Je suis aussi soulagé que tout se soit bien passé ; j'attendais de tes nouvelles avec impatience !
A bientôt petite papillon !

Anonyme a dit…

Bonjour Papillon,
je suis ravie de découvrir ce matin que tout s'est bien passé, que tu es là, et, visiblement, que tu es en forme.

Merci encore pour ton précieux témoignage !
Pour celles qui n'ont pas subi cette mutilation (dont je suis), je trouve que cela permet aussi d'en apprendre sur soi, sur la fierté qu'on peut avoir d'être une femme, sur l'importance de mener certains combats.
Bises, j'attends aussi la suite avec impatience.

Anonyme a dit…

Merci Papillon de partager tout ça avec nous. Ton écriture elle, n'a pas changé, et est toujours aussi belle et pudique. Bonne journée, à très vite !

papillon a dit…

C'est vrai qu'on dirait un conte, Nounsse, une belle histoire dont je suis ravie d'être le personnage principal. J'espère que bien d'autres sauteront le pas et vivront elles aussi une jolie histoire dans ce genre.

Tout continue d'aller bien,A.. La douleur s'éloigne d'un grand pas chaque jour qui passe et mon sourire lui reste accorché à mes lèvres :)

Aujourd'hui, Shiloune, je n'ai pas trop mal, juste un tiraillement sur la gauche. Je marche presque normalement, même...

Cornélie, c'est intéressant, ce parallèle que tu fais entre l'excision et l'inceste. Dans les deux cas, il y a ingérance d'adultes dans la sexualité des enfants et dans les deux cas, les parents sont impliqués...

Anita, moi ça fait des jours que je voudrais un smiley qui danse, je devrais peut-être me faire héberger ailleurs... :) En attendant, je t'embrasse en pensées!

Meri, mais que fais-tu du suspens alors? Je rigole, ça s'est très bien passé!

Stephhassan, c'est si gentil de t'être inquiété pour moi...

Moïra, j'ai carrément la patate, la pêche, la frite, le whizzz...

Ca y est, Hélène, je vais encore ronronner d'aise, ça me fait ronronner quand on me complimente sur mon écriture. Comme tu dirais si bien: Merci bien!

A. a dit…
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