lundi 7 mai 2007

Mon père

Mon père m’a appelée il y a quelques jours. En raccrochant, j’ai ressenti, une fois de plus, cette pointe de dépit, cette tristesse et cette frustration qui ponctuent si souvent nos conversations.

Il y a comme une gêne entre mon père et moi, un truc qui m’empêche d’être détendue et simplement moi-même, quand je lui parle. Je me sens maladroite, je le sens un peu gauche et au final, on ne se trouve pas, on n’arrive pas à établir de passerelle.

Alors je me raconte du bout des lèvres, je truffe mes phrases de mots rassurants. De « je vais très bien », de « ne t’inquiète pas ».

J’ai l’impression que notre relation est un gros ratage. C’est une catastrophe, même. Parce qu’il y a de l’amour entre nous et qu’on n’arrive pas à l’exprimer naturellement.

Mon père et moi, on ne se prend pas dans les bras, on ne s’embrasse pas, on se tient à distance. On n’en finit jamais d’être des étrangers respectueux l’un de l’autre. Pourtant, on rit ensemble, on parle. Mais pas vraiment de lui ni de moi. Ou si peu. On se montre très peu l’un à l’autre…

Il m’a dit une fois que je lui ressemblais, que, comme lui, je n’exprimais pas beaucoup mes sentiments. C’est vrai, je le sais bien, mais je n’arrive pas à changer cet état de fait avec lui.

Ça n’arrivera probablement pas, d’ailleurs, ça n’arrivera probablement plus. Je crois que c’est trop tard.

Ces rapports raides et gauches, ce sont ceux d’un général et d’un soldat, qui, quand il n’y a pas la guerre, sont embarrassés et ne savent pas comment se parler simplement.

Ma combativité, mes valeurs, je les ai reçues de mon père. Toute mon enfance a été bercée par ses discours écœurés sur la place qu’on laisse aux femmes dans la société sénégalaise, par ce mépris qu’il porte à ceux qui n’essaient pas, à ceux qui ne se battent pas, à ceux qui se posent en victimes. Et aussi par la nécessité de placer la vérité, la justice et l'honnêteté au dessus de tout, par le refus de toute tricherie ou de tout mensonge qu'il professait sans cesse.

Mon père voulait que nous fassions des études solides, ma sœur et moi. Il voulait que nous soyons indépendantes, autonomes. Il nous a tenues éloignées des cercles sénégalais machistes. Il nous répétait que nous pouvions faire aussi bien que les hommes. Il voulait que nous devenions des femmes fortes, des femmes fières.

Est-ce parce qu’il n’a pas pu empêcher notre excision ? Est-ce qu’il a alors voulu nous armer pour que nous nous défendions nous-mêmes la prochaine fois que nous serons confrontées à une menace, quelle qu’elle soit ?

Au fond, est-ce que notre excision a eu une influence sur sa façon de nous éduquer?

Je ne sais pas, mais je suis persuadée que sans lui, je ne serais pas là où j’en suis aujourd’hui.

Sans lui, je n’aurais pas lu, observé, écouté, réfléchi et considéré le monde comme je le fais aujourd’hui, en toute liberté.

Sans lui, je n’aurais pas brigué l’excellence, seule possibilité de prétendre en toute légitimité au respect. Sans lui, je n'aurais pas mis la barre si haut, je n'aurais pas été aussi exigeante avec moi-même. Sans lui, je n’aurais pas ravalé mes larmes, je n’aurais pas serré les dents. Sans lui, je ne me serais pas fabriqué une armure. Sans lui, je ne serais pas devenue une guerrière.

Je suis sûre que si je n’avais pas tant douté de son amour pour moi pendant toutes ces années, si je n’avais pas si violemment voulu qu’il m’aime, je n’aurais pas parcouru le chemin que j’ai suivi jusqu’à maintenant. Je ne serais pas devenue un soldat dont il peut être fier.

J’éprouve aujourd’hui pour mon père un mélange de gratitude et de ressentiment pour ce que je me suis imposé par amour pour lui.

Je me rends peu à peu compte du prix que j’ai payé. Je réalise que j’ai sacrifié l’intimité, la confiance, l’amour simple. J’ai caché ma fragilité à mon père pendant si longtemps que je n’arrive plus à faire marche arrière.

Je crois bien que j’ai passé trop de temps dans mon armure. Elle a rouillé. Et maintenant, face à mon père, je ne sais plus faire que le salut militaire…



25 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce que tu écris est dur, ta souffrance est palpable, mais en même temps moi ce que je lis c'est que tu l'aimes ... et lui aussi et même si vous ne trouvez pas les mots, les gestes, l'amour est là.

Je suis très émue ...

Anonyme a dit…

Et si tu lui écrivais ?... Enfin, je dis ça, mais j'y arrive pas non plus avec le mien...

Tellinestory a dit…

il faut du temps, pour que l'armure devienne flexible armature.
Il me semble qu'on ne finit pas d'en prendre et d'en laisser, de ces dons toujours à multiples tranchants. Tant qu'il y a de la vie, y a du boulot!

papillon a dit…

Bonjour vous trois!
Mamzelle Maupin, oui, il y a de l'amour. Mais cette absence de mots, de gestes plombent une éventuelle intimité entre nous.

Geralda, c'est une bonne idée. Une fois, je lui ai écrit un poème pour lui dire que je l'aime. Il a laissé un message sur mon répondeur, je ne l'avais jamais entendu aussi ému. C'est d'ailleurs là qu'il m'a dit que je lui ressemblais à propos des sentiments. Ma mère m'a dit plus tard qu'il était très heureux de son poème. Mais tu vois, le message, je ne sais pas pourquoi mais je l'ai effacé. Il me mettait mal à l'aise...
Je vais quand même garder l'idée. Un jour peut-être, je lui écrirai à nouveau.

Anita, j'espère qu'un jour l'armure perdra sa rigidité sans que je me sente mal. Une belle armature qui soutient plutôt qu'une armure qui statufie, ce serait une bonne chose en effet :)

Unknown a dit…

Je suis très émue par tes mots...
C'est un peu guindé avec mon père, parfois, même si c'est très différent : on joue au chat et à la souris. Parfois, je me force et je lui fais un calin, mais je m'éloigne très vite, ensuite, sans le regarder, très embarassée...
Comme l'a dit anita : tant qu'il y a de la vie, y'a du boulot !

Anonyme a dit…

Qui est dur ce chemin que nous essayons de trouver... Surtout le tien. Mais entre les lignes je vois de tellement belles choses. TU es forte, les femmes qui donnent sont fortes. Courage. Je pense à toi bien fort en ce dernier parcours. Reviens nous vite ;)

papillon a dit…

Hello Mlle Crapaud! En écrivant le billet, j'ai réalisé qu'il y en avait, du travail, mais que peut-être, je pouvais assouplir un peu mon salut. Je me dis qu'on ne va peut-être pas devenir super intimes, mais qu'on peut se rapprocher un peu quand même.

Coucou Elene.B! Merci beaucoup pour tes mots. Ils me vont au coeur. Ne t'inquiète pas, je ne m'éloignerai pas trop :)

Anonyme a dit…

C'est très émouvant ; Je crois lire les relations que j'avais avec mon père. S'il n'y avait qu'un mot pour caractériser nos relations, ce serait la pudeur.
La seule fois où je lui ai dit "je t'aime", c'était il y a 2 ans sur son lit de mort. Je ne regrette rien de ce silence des émotions durant toutes ces années, car les choses n'auraient pas pu être autrement. Il sera toujours mon "Papa", avec tout l'amour que porte ce mot.
N'attendez pas le dernier moment, les filles :-)

lalita a dit…

Je t'embrasse très fort !

papillon a dit…

Meric Lalita!
Bienvenue Nounsse. Tu as trouvé le mot exact: pudeur. C'est bien ce qu'il y a entre mon père et moi.
Aujourd'hui, 3 personnes m'ont dit de lui écrire une lettre. Plus Geralda. Ca me fait réfléchir, je crois que je vais le faire, l'idée qu'on vive en silence l'un à côté de l'autre toute notre vie, même si on s'aime, eh bien ça me donne envie de pleurer, là, ce soir. alors une lettre, une passerelle, un "voilà qui je suis, cher Papa" sans la difficulté de la confrontation, ça me tente de plus en plus...

Anonyme a dit…

Hiiiin ! Si tu écris au tien, va falloir que j'écrive au mien, sinon je vais passer pour une dégonflée... ;-)

Anonyme a dit…

La vie est longue, les relations ne sont pas figées pour l'éternité

l'affection, l'amour paternel ou filial ne passent pas que par des mots ou des câlins

tu es en plein chambardement intérieur, tout se bouscule pour toi dans la longue attente que tu vis, tu remets en cause l'empreinte de ta mère sur toi et du coup tu penses aussi à la place de ton père

si tu penses tenir ton courage de lui, quel merveilleux héritage!
courage, tiens bon et n'oublie pas de remplir ton temps de pensées plaisantes et de raisons de sourire

Anonyme a dit…

Merci pour ton accueil Papillon :-)
La lettre, c'est une excellente idée. Avec ma mère, justement, c'est par écrit que j'ai pu assumer et régler de nombreux conflits. C'était parfois très violent (pas d'insultes, mais parfois des mots très durs), mais ces échanges nous ont été très bénéfiques, et même salvateurs. De plus, je suis qqn qui parle peu et je perds mes moyens dans les conflits.
Alors l'écrit est un moyen formidable de faire passer ses émotions avec des mots choisis, en prenant son temps.

Bon, ben yapkluka ;-))

papillon a dit…

Bon ben c'est décidé: je vais écrire une lettre à mes parents.

Lili, je crois qu'en ce moment, je fais le deuil de certains espoirs quant à mes relations avec mes parents. j'entre de plein pied dans le "C'est ma vie à moi" et j'ai du mal à gérer mon besoin de ne plus être la petite fille de mes parents (qui a besoin de permissions) tout en restant en lien avec eux. Ce qui me fait de la peine, tu vois, c'est qu'en réalité, mes relations avec mon père ou ma mère ne seront jamais complices ou intimes. De ça, je dois faire le deuil. En revanche, nos contacts peuvent sans doute être moins "empruntés" qu'ils ne le sont actuellement. Et je voudrais aller vers ça, vers un assouplissement. Et je crois que ça passe par leur parler, d'une façon ou d'une autre, de ce qui m'arrive d'important.

Nounsse, je suis sans doute comme toi, j'ai beaucoup de mal à dire alors que j'ai de la facilité à écrire. Et puis surtout, j'ai réalisé que ce dont j'ai besoin, c'est qu'ils sachent. C'est tout. Je n'ai pas besoin de réponse et je veux pouvoir leur dire ce que j'ai à leur dire sans être interrompue ou troublée par leur réaction.
J'ai passé une partie de la nuit d'hier à réfléchir: une lettre chacun? une lettre commune? Finalement, j'ai opté pour une lettre commune. Et j'ai passé le reste de la nuit à l'écrire dans ma tête. J'ai bien pensé à un moment que c'était un peu lâche, peut-être, une lettre, mais c'est le seul moyen d'expression dont je dispose, là...

Geralda, chiche?
Je poste ma lettre demain matin (pour qu'elle arrive avant le 16 Mai) alors va falloir t'y mettre :)

Anonyme a dit…

Salut !

Je passe depuis le blog de Pénélope, parce que j'ai bien aimé ton com :)

Et tu sais, je me reconnais partialement dans ce que tu dis. Il y a entre moi et mon père comme une sorte de distance et de difficulté à être profondément sincères l'un vers l'autre. C'est comme une conversation qui reste superficielle malgré les efforts de la faire "vraie". C'est difficile à expliquer.

Et d'ailleurs, je suis dans un moment de ma vie où j'ai vraiment besoin de son aide en particulier, mais je ne suis pas encore décidée si je dois le contacter et accepter cette aide ou pas ...

Bref. C'est confus, beau et dommage à la fois.

Bises

Anonyme a dit…

vis ta vie à toi, papillon, c'est ton heure, tu l'as choisie, continue ;o)

et un jour, je te le souhaite, tu verras, les relations adultes qu'on peut avoir avec ses parents peuvent évoluer jusqu'à la complicité et l'intimité, sur des bases nouvelles

et une lettre, c'est bien
on peut la relire avant de l'envoyer et aussi après l'avoir reçue ;o)

Fyfe a dit…

Salut toi,
Juste un petit mot hors sujet (je suis tellement nulle pour me comporter comme une adulte face à mes parents que quoi que je dise, ça doit être une mauvaise idée ;-) ), pour te dire que je pense beaucoup, beaucoup à toi, avec les jours qui passent et la date qui s'approche...
Je serai à l'étranger la semaine prochaine, mais toutes mes pensées seront pour toi !
Des bises plein

papillon a dit…

Bonjour et bienvenue chère Anonyme!
Tu mets le doigt sur un point important de ces relations difficiles à gérer avec son père : l’acceptation ou non de son aide et en allant plus loin de son amour. Je me rends compte que j’ai du mal, personnellement. L’habitude, la peur, la pudeur, je ne sais pas vraiment, mais j’ai clairement un problème avec le fait que LUI puisse concrètement me manifester son amour…

Merci Lili ! Et puis oui, une lettre, ça reste, ça laisse des traces. Et cette idée me plaît bien (en fait, je crois que je vais garder mon brouillon).

Bonjour Fyfe ! Je suis très contente de te lire ici, tu sais ? Et je suis aussi très touchée que tu penses à moi…

Anonyme a dit…

Tu sais, je suis justement allée voir sur Wikipedia pour en savoir un peu plus sur l'excision. Je savais globalement ce que c'était, mais ... aie, je trouve que c'est mauvais, enfin je n'arrive même pas à imaginer que l'on puisse toucher à quelcun sans son accord ... juste par tradition et autres "conneries" (tu m'excuseras) dans le genre.

Bravo à toi en tout cas. Tu as tout mon support (pour ce que ça vaut).

Bises

papillon a dit…

Bonsoir chère Anonyme,
En lisant ton commentaire, je me rends compte que je n'arrive pas à trouver quelque chose de chouette, d'agréable ou de positif qu'on fasse au nom des traditions. Pour moi ça veut tout dire...
En tout cas, merci pour ton message :)

Anonyme a dit…

Chiche ? Faut voir... En ce moment, je suis plutôt en paix avec lui...
Mais va savoir, je dois le voir dans 10 jours, et peut-être qu'il trouvera encore le moyen de manifester qu'il se fait du souci pour moi, avec sa maladresse si invraisemblablement abyssale que ça en devient de la goujaterie pure...
Une fois, c'est allé tellement loin que j'ai quitté la pièce, fondu en larmes, pleuré pendant 2 heures, et pas pu lui adresser la parole jusqu'à ce que je sois repartie !
Je voulais lui écrire à ce moment-là, pour lui dire qu'il m'avait vraiment blessée et pourquoi, parce qu'il ne comprend pas...
Je ne l'ai pas fait. Je le regrette... Maintenant, c'est trop loin.
Ceci dit, je pense que ma mère et mes frères et soeur qui sont tous venus me consoler les uns après les autres, se sont chargés de lui expliquer pourquoi j'avais eu les yeux rouges et gonflés toute la journée de Noël, et prétendu que c'était une allergie flash !... Et il a bien vu que je l'évitais tout le reste de la journée.
Le pire c'est qu'il me faisait de la peine, parce que je voyais bien qu'il sentait qu'il avait merdé et en était malheureux... Mais il arrive à me mettre tellement en rage que j'ai envie de shooter dedans en même temps !
Et le plus comique, c'est que la thérapie m'a appris que j'étais son enfant préféré, et qu'entre ça et la culpabilité que ça lui cause vis à vis des ses autres enfants, j'en prends plein la gueule !

Ils me font pitié, cette génération d'hommes qui eux, ont ét amputés du droit à l'émotion, auxlarmes, et à l'expression des sentiments...

papillon a dit…

Géralda, on dirait que tu parles de mon père :)
Comme ton père, il fait partie de cette génération d'hommes qui "sentent les choses" (il sent bien quand il t'a fait mal) mais qui ne se dévoilent pas. Ca me fait de la peine pour eux à moi aussi, qu'ils ne puissent pas s'exprimer sur leurs sentiments, qu'ils soient si raides, si engoncés. Les pauvres. Et puis c'est si difficile pour leurs enfants...

Tu sais, je voudrais te remercier, Geralda. Tu fais partie de ceux qui m'ont suggéré d'écrire et je suis bien contente de l'avoir fait. Parce que je suis un peu comme toi: quand c'est "trop loin", j'ai l'impression que ça ne sert plus à rien de dire, qu'il y a prescription. Et comme le temps que je me décide à en parler, en général, les événements ont un certain âge, mon père passe à côté de toute une partie de moi dont je ne lui parle pas et qu'il sent mais qu'il ne comprend pas.
Alors, je te le redis, Géralda: chiche! Pas forcément maintenant, là, tout de suite. Mais un jour?

Anonyme a dit…

Je le ferai... d'autant qu'il a 78 ans et que le temps passe si vite !...
En tout cas, que que ton père sénégalais soit aussi semblable à mon père dauphinois, d'une manière douce-amère, c'est amusant !
Je trouve que la leçon de tout ça, c'est qu'il faut travailler sur soi pour être capable de vivre ses émotions, et il faut aimer ses enfants, le leur dire, et leur demander si on les aime comme ils ont besoin d'être aimés.
Parce qu'ainsi, on sera et ils seront de meilleurs parents.

Je suis heureuse d'avoir pu t'aider... :-)

papillon a dit…

C'est très vrai ce que tu dis Géralda.
Surtout cette phrase-là, que je mets de côté pour quand j'aurai des enfants: "il faut aimer ses enfants, le leur dire, et leur demander si on les aime comme ils ont besoin d'être aimés."

Anonyme a dit…

ecri lui sinon tu le regretera moi je n'ai pas de pere je n'orai j'amais la chance de lui dire ke je l'aime tu a la chance de le connaitre moi je c meme pa son prénom ma mere ve pa mle dire je c meme pa si y c ke jexiste.bref ai le courage de lui dire