samedi 3 mars 2007

La consultation

Hier, j'ai ouvert les yeux dans le noir à 6h27. J'ai eu du mal à m'endormir et je me suis réveillée plusieurs fois durant la nuit mais je me sentais bien réveillée. J'avais peur et hâte en même temps.
Le 02 Mars 2007 m'a paru d'emblée être un jour important. Peut-être même était-ce l'un des jours les plus importants de ma vie. Alors j'ai expliqué à mon corps ce qu'on allait lui faire, je lui ai expliqué qu'on allait l'examiner et me dire si on pouvait le reconstituer, lui rendre ce qu'on lui a arraché un jour, quand j'avais 4 ans.
J'ai fumé une cigarette dehors, mais ça ne m'a pas calmée. J'avais le coeur qui battait très très vite.
A 7h05, j'étais prête. Mon homme m'a demandé, du fond du lit et d'une voix pâteuse, de l'appeler après le rendez-vous. Ca m'a un peu rassurée, ça a estompé un peu de cette sensation de solitude que j'éprouvais.
A 7h14, j'étais dans le métro. Je suis arrivée à Saint Germain en Laye très à l'avance, mais je ne voulais surtout pas arriver en retard et rater mon rendez-vous (on m'avait prévenue, lorsque j'ai pris le rendez-vous, de ne pas être en retard, le docteur étant débordé et ne pouvant m'attendre).
Dans la salle d'attente, j'avais les jambes engourdies par l'appréhension. Quand il est arrivé, j'ai été saisie et intimidée. J'ai suivi dans son bureau cet homme grand à la voix douce et au regard bleu.
Il a commencé par me poser des questions:
- Pourquoi étais-je là?
- A quel âge et où avais-je été excisée?
- Quel âge ai-je maintenant?
- Ai-je des enfants?
- Est-ce que je fume?
- Est-ce que je prends des médicaments?
- Est-ce que j'ai déjà été opérée?
- Est-ce que la cicatrice me fait mal lors de mes rapports? A quel point?
Puis il m'a examinée et m'a expliqué que j'avais subi une ablation du clitoris et une blessure des petites lèvres. Il m'a dit que mes petites lèvres n'avaient pas été blessées à dessein (comme c'est le cas dans une excision pharaonique) mais du fait de mon anatomie à 4 ans (le geste a été approximatif, imprécis). En cicatrisant, elles se sont soudées l'une à l'autre et le clitoris s’est positionné à un endroit autre que sa place normale. Ma vulve est figée, moins élastique qu’elle ne devrait, du fait de la cicatrice, ce qui pourrait me causer des problèmes en cas d’accouchement.
"On peut tout à fait effectuer une réparation".Quand il a dit ça, mon coeur a bondi dans ma poitrine et quelque chose s'est comme dilaté dans ma cage thoracique, comme une fleur qui éclôt. Mon Dieu que ça m’a fait du bien de l’entendre cette phrase !
De retour à son bureau, il m’a expliqué qu’il allait enlever le tissu cicatriciel, séparer et reconstituer les petites lèvres puis dégager le clitoris.
Il m’a aussi proposé de participer à un protocole expérimental d’amélioration de l’aspect de mes petites lèvres au moyen d'un produit qu’on y injecte et qui se résorbe en 18 mois à 2 ans. Jusqu’ici, 100 patientes ont suivi ce protocole et semblent en être contentes. J’ai accepté (je crois que j’aurais accepté tout ce que me proposait le docteur Miracle). Cela reviendrait, m’a-t-il dit, à « une reconstitution complète de ma région vulvaire ».
Je n’aurai rien à payer, si ma mutuelle prend en charge le dépassement d’honoraires de 300 euros. La sécurité sociale prend en charge les 5000 euros que vaut la reconstruction de mon clitoris et de mes petites lèvres. Les 1600 euros de l’amélioration esthétique de mes petites lèvres sont à la charge de ceux qui mènent le protocole expérimental.
On en est arrivés au moment de la programmation de l’opération. Il m’a demandé quand je voulais me faire opérer. Ca m’a étonnée, je croyais qu’il était débordé. Je lui ai demandé si c’était possible au mois de Mai. Sa réponse m’a surprise : « Pas avant ? ». L’opération va avoir lieu le 16 Mai 2007. J’entrerai la veille à la clinique. et j'en sortirai le 17 dans la matinée. Mon homme viendra me chercher en voiture.
Pour préparer l’opération, je dois faire une prise de sang, rencontrer l’anesthésiste le 4 Mai et arrêter de fumer (fumer augmente les risques de complications lors de l’opération) au moins 6 à 8 semaines avant le grand jour.
Le docteur m’a montré que les informations sur l’opération qui parviendront à la sécu étaient codées. On ne saura donc pas de quoi je me fais opérer. Ce n’est pas très important pour moi mais peut-être que ça pourrait être pénalisant que ça se sache (je n’imagine pas vraiment comment, m’enfin on ne sait jamais…).
J’ai trouvé le docteur vraiment gentil, j’ai eu l’impression d’être particulière, unique, importante et ça m’a fait un bien fou. Il était attentif et je me suis sentie bien. Emue mais à l’aise. Il m’a demandé ce que m’avait dit ma gynécologue de mon excision. Je lui ai répondu qu’elle n’en avait jamais fait mention mais que c’était toujours mieux que le précédent qui m’avait dit en substance que ce n’était pas grave et que de toute façon, c’était fait, point barre. Il m’avait achevée d’un « le plaisir, c’est dans la tête et puis, que voulez-vous, il y a des femmes qui n’ont jamais d’orgasme, c’est comme ça ». Youpi. Le docteur a paru affligé de ce que je lui racontais. On a papoté un peu. J’ai demandé au docteur si une femme dans la position de ma cousine, qui a eu plusieurs enfants, pouvait se faire opérer. Et j’ai eu la confirmation que oui.
Il m’a fait un peu peur en me disant « Bon, et bien, à moins que je me fasse tuer avant, il n’y a pas de problème ». C’était peut-être une plaisanterie, mais vu que j’angoisse qu’il meure avant d’avoir pu m’opérer, je me suis prise à regretter de ne pas avoir demandé une date d’opération avant.
Il a été très clair et très complet dans ses explications. Pour l’opération, je vais être anesthésiée généralement et aussi localement. Je vais avoir mal pendant une semaine puis les douleurs vont s’atténuer. Je devrai aller à des visites de contrôle au bout de la 2e semaine de convalescence, puis un mois et demi après l’opération, puis 6 mois après. C’est lors de cette dernière visite de contrôle qu’il me proposera un suivi avec un sexologue, si je veux.
Pendant les 6 semaines que va durer la cicatrisation, ça va couler un peu mais c’est normal, il y a un drainage qui doit se faire. J’aurai un traitement et des soins locaux à faire.
Il faut que j’attende que ces 6 semaines soient écoulées pour reprendre des activités physiques et sexuelles.
N’ayant pas un métier qui nécessite que je bouge beaucoup (il ne faut pas que je marche trop les premiers temps), le docteur pense qu’un arrêt de travail d’une semaine, après l’opération, devrait suffire.
Les sensations clitoridiennes, le plaisir quoi, apparaissent en moyenne au bout de 6 mois.
Le rendez-vous s’est terminé, j’ai payé ma consultation, pris rendez-vous avec l’anesthésiste et je me suis faite enregistrer à l’accueil afin qu’on me réserve une chambre.
En sortant, je me sentais bizarre : j’avais envie de rire et de pleurer à la fois. Et j’ai angoissé très fort (faites qu’il ne meure pas avant, faites qu’il ne meure pas tout court).
Ca m’a fait du bien d’en parler à ma cousine que j’ai appelée dès mon retour. Ainsi qu’à mon homme et à mon meilleur ami qui se sont réjouis avec moi.
Vivement le 16 Mai 2007. Vivement, vivement !

10 commentaires:

Jenny a dit…

Bonjour!
Je suis une femme Suédoise; je vous prie donc de m'excuser si mon Français n'est tout à fait correct!

Votre histoire m'a fait baucoup de peine pour vos souffrances, mais autant d'admiration pour votre fortitude. J'éspère que tout ira bien avec l'operation.

Comme la plupart des femmes Européens, je savais un peu de qu'est-ce que ce qu'un excision, mais je n'avais jamais lu une histoire écrit par une femme qui l'avait subi. Tout ce que je savais, c'etait des figures, des images anonymes qui me ferait d'horreur mais qui ne me touchait au fond du coeur, comme les choses que vous avez ecrit l'ont fait...

Aussi n'ai je point su qu'il existe des moyens pour reconstituer. Je ne sais pas s'il y a des chirurgiens dans la Suède qui peut le faire, mais je vais contacter les politiciens et s'il n'y a pas, je vais travailler pour qu'on en ouvrira une clinique. Il y a beaucoup d'immigrants ici, et bien que l'excision est illégal ici, il y a des familles qui vont dehors pour le faire faite à ses filles. (Ceci est également illégal, et il y a même un père qui a été chargé et imprisonné pour ça.)

Encore une fois, j'admire votre courage et je vous souhaite que tout ira bien avec votre opération.

Anonyme a dit…

Une autre anonyme qui s'ajoute à votre joie et excitation. Votre consultation me semble exactement ce qu'on en espère: concrète, humain, réaliste... j'en suis ravie pour vous. Ce n'est pas si mal que vous avez choisi d'attendre un peu, ceci va changer votre idée de vous-même rien qu'en ayant entrepris une démarche proactive et il faut vous habituer à ceci.
Je m'y connais un peu en chirurgie reconstructrice par une toute autre porte et je vous rassure qu'il y a heureusement pas mal de chirurgiens compétents et engagés - non seulement pour vous rassurer, mais aussi pour donner de l'espoir à toutes nos soeurs qui ne s'expriment pas mais qui chercheront peut-être à suivre votre exemple.
Je penserai à vous en mai. Un beau printemps s'annonce.

papillon a dit…

Bonjour à vous et merci pour vos commentaires.
@jenny: Malheureusement, en Europe aussi, des parents parviennent à faire exciser leurs filles. Je ne savais pas qu'en Suède, à l'image de la France, on poursuit les parents en justice. Je trouve que c'est important, car il faut que cette pratique horrible cesse. A mon avis, il faut surtout que les parents soient amenés à réfléchir à ce qu'ils font, à l'utilité, pour leurs enfants, de ce qu'ils font. Je crois que l'excision pourra être éradiquée si les parents commencent à réfléchir et à prendre la mesure de son inutilité.
@Alethea: Depuis vendredi, je repense à la phrase du chirurgien "Pas avant?". J'ai absurdement peur qu'il meure. Savoir qu'il existe d'autres chirurgiens compétents qui pourraient prendre le relais du docteur me rassure toutefois un peu. Quand je mets ces pensées de côté, je me dis qu'effectivement, il me faut du temps pour mesurer la portée de ce que j'ai fait, de ce qui va se passer. Je ne veux pas que ça devienne anodin dans ma tête. En bref, pour l'instant, je navigue entre les doutes, la peur et l'espoir, un gros espoir. Oui, le printemps 2007 pourrait bien être un très beau printemps.

Anonyme a dit…

Bonjour et bravo, bravo, bravo pour votre courage. C'est fantastique d'avoir osé prendre votre vie en main, et surtout d'avoir décidé de partager votre expérience avec celles qui peuvent en avoir besoin.

J'ai été extrêmement choquée du commentaire de votre premier gynéco. Sans avoir subi un traumatisme de l'ampleur du votre, j'ai moi-même été régulièrement confrontée à l'arrogance de ces "messieurs" lorsqu'il s'agit de la vie et de la sexualité de leurs patientes.

Alors mesdames, répétons-le entre nous et faisons circuler cette certitude: ce n'est pas à notre médecin de décider pour nous que "ce n'est rien" ou "c'est dans la tête". CE N'EST PAS VRAI. Si votre gynéco vous prend de haut, méprise ce que vous vivez... changez de médecin! Ca peut vous changer la vie.

V.

papillon a dit…

Bonjour et merci beaucoup pour votre commentaire. Ce n'est pas facile de prendre sa vie en main, je trouve. Les doutes s'amoncellent, le courage faiblit parfois... Mais grâce à des gens comme vous qui m'apportez si gentiment votre soutien, les choses sont plus faciles. Merci encore.

Anonyme a dit…

Papillon, tu vois, il était bien ce médecin. Mais celle qui est encore mieux, c'est toi. Tu as un courage formidable. Continue à aller de l'avant et bravo.

Atryu a dit…

J'ai découvert votre blog via "mon blog de fille", je ne sais pas si le commentaire d'un homme sera bien placé ici, dans la mesure où je ne pourrai jamais avoir qu'une vague idée de la souffrance que vous avez subie.

Toujours est-il, qu'il n'est pas besoin d'en comprendre tous les tenants, pour savoir que cette pratique devrait cesser, je ne sais pas d'où elle vient, si elle est purement culturelle ou si il y a un quelconque bénéfice sur la santé (comme la circonsicion chez les hommes qui est aussi hygiénique, bien qu'ayant aussi des conséquences sur la sensibilité de cette région).
Bref, peu importe l'origine de cette pratique, elle est injustifiée de nos jours, dans nos pays en tout cas.

Je vous trouve très courageuse de faire part de votre expérience de la sorte, j'espère que cela aidera d'autres femmes concernées par ce sujet.

J'espère que votre opération va bien se passer, et que vous allez réparer cette blessure physique qui vous a été faite, et que vous pourrez aussi réparer celle plus psychologique qui vous a été faite.

Bon courage pour la suite, et encore bravo.

papillon a dit…

Bonjour Atryu!
Bien sûr que le commentaire d'un homme est le bienvenu aussi :)
L'excision est justifiée par ses partisans de plusieurs façons. La plus souvent mise en avant est la nécessité de "calmer les ardeurs sexuelles des femmes" afin qu'elles puissent rester fidèles à leur mari. On disait aussi du clitoris qu'il pouvait tuer ou infecter le mari ou le futur bébé. Cela faisait donc partie d'une sorte de rite initiatique qui faisait passer les jeunes filles au statut de femme adulte. Cette pratique s'est enracinée dans les régions islamisées en afrique noire parce que les populations pensaient qu'elle était inscrite dans le Coran. Ce n'est que récemment que cette idée est réfutée, preuve à l'appui, ce qui fait peu à peu reculer cette abomination. Toutefois, il reste le poids de la culture, qui fait que dans certaines régions, une femme non excisée est considérée comme impure et ne trouve pas de mari.
Ce n'est pas que "dans nos pays" que cette pratique est injustifiée, Atryu. Elle l'est partout. L'intégrité du corps humain est une chose sacrée et aucune mutilation ne peut se justifier nulle part.
Merci beaucoup pour vos encouragements!

Atryu a dit…

merci pour ces précisions, cela ne fait que renforcer l'idée que ces vraiment une pratique d'un autre temps.

Encore une fois bon courage pour la suite, j'espère que vous arriverez à réparer cette injustice qui vous a été faite, et que grace à votre blog, d'autres suivront votre exemple!

Anonyme a dit…

@anonyme: Ne généralisez pas sur les gynécos messieurs...

Une amie met dit qu'elle a eu deux gynécos femmes qui avaient un peu tendance à dire "mais non ça ne fait pas mal" ou à se poser en juge de leurs comportements.

Ces praticiennes devraient pourtant savoir que chaque être humain est différent et que même si elles ne ressentent rien de spécialement désagréable pour telle ou telle procédure, ce n'est pas forcément le cas de tout le monde.

Elle a depuis un homme qui ne se hasarde certainement pas à ce type de remarques.