lundi 19 février 2007

La femme derrière l'excisée

J'ai 30 ans, je suis d'origine sénégalaise et je vis à Paris. J'ai un travail bien payé qui me permet de vivre confortablement. Je vis avec mon compagnon dans le sud de la ville.
Quand j'avais 4 ans, ma mère m'a faite exciser. Et ça a bousillé ma vie.
L'excision que j'ai subie, je n'en garde aucun souvenir, c'est ma cousine qui m'a dit à quel âge ça m'était arrivé. Je sais que j'ai été excisée en même temps que ma grande soeur. Ma mère pensait que nous ne nous en rappelerions plus ("les enfants oublient" a t'elle dit). Pourtant, bien que je ne me souvienne pas de ce jour-là ni de ce qui m'est arrivé, je savais, bien avant d'interroger ma cousine, que j'avais été excisée ainsi que ma grande soeur.
Pendant longtemps, je ne me suis pas posé de question, c'est quelque chose qu'on fait chez les Mandingues de Casamance. C'était comme ça, voilà tout.
Quand j'ai atteri chez une psychothérapeute il y a 6 ans, je n'y pensais pas non plus. Je souffrais, j'avais du mal à vivre, j'avais peur tout le temps qu'il m'arrive quelque chose, peur de mourir ou de devenir folle. Et surtout, je ne comprenais pas ce qui m'arrivait, pourquoi c'était si difficile de vivre. J'avais été une enfant sage, obéïssante, presque effacée. J'avais fait des études solides d'ingénieur, cherché du travail avec sérieux. J'avais toujours tout fait parfaitement, j'étais quelqu'un de bien, de gentil alors pourquoi avais-je l'impression tenace d'engager ma vie à chaque action, fut-elle anodine comme aller à la Poste? Pourquoi avais-je si peur? Pourquoi étais-je si triste? Pourquoi me sentais-je si seule?
C'est ma psy qui m'en a parlé la première. Une question, au bout de quelques mois. "Avez-vous été excisée?". Je lui ai dit "oui" puis je suis passée à autre chose. J'avais des problèmes à régler et l'excision me paraissait complètement déconnectée de mes angoisses et du gouffre dans lequel j'essayais de survivre.
Il a fallu plusieurs années de thérapie pour que j'accorde du crédit à ce que me disait ma psy, comme quoi l'excision était l'une des causes de mes problèmes. Il a fallu encore plusieurs mois pour que je comprenne à quel point elle avait raison.
En plus de ma thérapie individuelle, je suis, un samedi par mois depuis un an et demi, un groupe de thérapie. Lors de la séance de Janvier, j'ai voulu travailler sur une "tendance dont je voulais me débarrasser". Quand quelqu'un me parle d'une situation à laquelle il a dû faire face, ou même à laquelle il va devoir faire face, c'est plus fort que moi: je me demande si j'aurais pu m'en sortir, moi, dans la même situation. Je réfléchis avec inquiétude à la façon dont il faudrait que je m'y prenne. Et je n'arrête pas avant d'avoir trouvé. Une fois, un ami m'a dit qu'il voulait s'acheter une voiture. Hop, ma moulinette cérébrale s'est mise en route: "et moi, comment est-ce que je ferais pour m'acheter une voiture? A qui demanderais-je conseil?" alors que je n'ai aucun besoin de voiture, je n'ai même pas le permis! Je voulais me débarrasser de ce besoin incessant de vérifier si je me sortirais de n'importe quelle situation.
En clarifiant avec les thérapeutes, j'en suis venue à leur demander de m'aider à me débarrasser de l'angoisse de me retrouver un jour dans une situation dangereuse sans savoir comment me sauver. Et ça a déclenché des cascades de larmes... Je n'ai pas expliqué aux autres membres du groupe de thérapie mais j'ai tout de suite pensé à mon excision.
Ce que je voulais, c'était un moyen de m'assurer que je ne me retrouverai plus jamais dans une situation semblable à l'horreur de l'excision.

Depuis, je fais peu à peu face à cette excision qui a bousillé ma vie, cette monstruosité que j'ai voulu oublier, cette sauvagerie qui a eu un impact si important sur moi, tellement important.

J'ai cherché, sur Internet, des témoignages de femmes excisées. Je ne peux pas en parler à ma mère, c'est un sujet totalement tabou. Ma soeur refuse d'en discuter. Il n'y a eu jusqu'ici que ma cousine pour accepter de m'en parler. J'ai cherché pendant plusieurs semaines sur Internet, pour une récolte maigre, très maigre. Alors j'ai décidé d'écrire ce blog, d'y témoigner, d'aider, peut-être, une femme ou une jeune fille qui a été excisée et qui cherche d'autres femmes qui ont subi la même chose sur Internet. J'ai aussi besoin de mettre à plat le chemin que j'emprunte cette année, le chemin de ma reconstruction.

19 commentaires:

Hélène Larrivé a dit…

Bouleversée par ton témoignage... C'est étrange, je ne suis pas excisée mais... je ressens la même chose que toi! Une impression tenace d'être différente, des angoisses devant chaque situations... même anodines etc... Sauf que j'ai réagi en me positionant d'une manière différente, en devenant éditrice (et auparavant auteur), une façon de m'affirmer malgré tout... A bientôt, et courage. Hélène Larrivé http://www.larrive.info

papillon a dit…

Bonjour et bienvenue Hélène!
La solution que tu as trouvée pour t'en sortir est originale et surtout courageuse puisque tu n'as pas baissé les bras.
Merci de tes encouragements et bon chemin de vie à toi!

Anonyme a dit…

Bonjour, je suis arrivée sur ton blog par le biais de "blog de fille", que je visite régulièrement. Je ne suis heureusement pas concernée par cette affreuse expérience, mais le "combat" me tient à coeur, comme pour chaque femme, je pense.

J'avais lu il y a un moment maintenant (quelques petites années, peut-être) un article dans Cosmopolitan, je crois sur le docteur Foldès, qui m'avait fait bien comprendre ce qu'était la vie quotidienne des femmes excisées, phénomène que je ne connaissais alors pas vraiment. Je ne suis pas du genre engagée dans des associations (cela est certainement dommage pour certaines causes, mais j'ai mes raisons), cependant je vais écrire une petite note sur mon blog aujourd'hui, et y citer le tien, si cela ne t'ennuie pas. Car je trouve que tu as une façon très digne et émouvante de raconter ton expérience.

Je te lirai régulièrement, parlerai peut-être moins souvent, mais je soutiens complètement ta démarche et te souhaite tout plein de bonheur à venir.

papillon a dit…

Bonjour Chloé et bienvenue sur ce blog.
Merci beaucoup de tes encouragements, ils me vont droit au coeur.
Je serais honorée que tu cites mon blog sur le tien, alors n'hésite pas.

Nono & Thomas a dit…

Bonjour !
Je m'appelle Nono, j'ai 27 ans, je suis une jeune femme congolaise qui vit actuellement à San francisco. J'ai attéri sur ton blog par hasard et j'avoue que rien que ton 1er billet m'a touché. Je n'ai pas été excisé mais je sais que dans mon pays ou les pays voisins il y a eu de telles pratiques. Je me sens vraiment touchée par ce que tu racontes. Je me suis retrouvée en toi dans ma manière également de m'angoisser par rapport à tout, mais différemment. Quand je vois quelqu'un réussir à faire quelque chose, je me dis tout de suite que moi je n'y serai jamais arrivé ou que je n'arriverai jamais. Enfin bref, je te trouve touchante. Je n'ai lu que le premier billet pour le moment, mais je vais dévorer la suite.
Gros bisous
Nono

papillon a dit…

Bonjour et bienvenue Nono!
Merci beaucoup pour tes gentils mots. Ils me touchent beaucoup.
J'espère que de ton côté, tu réussiras à vaincre tes angoisses. A bientôt!!

Nomade a dit…

je suis bouleversee par ton temoignage...j ai lu tout tes billets d une traite sans m arreter comme si j avais soif d apprendre, soif de ressentir ce que tu as ressenti comme joie, soif de me voir un jour comme toi dans cette clinique...je suis dans ton cas, excisee a 6-7 ans je ne me rappelle plus tellement j ai fait un blocage la dessus. je ne reve que d une chose rencontrer Dr foldes et enfin me liberer de cette plaie qui ne veut pas guerir...Merci pour ton temoignage qui m a apporte support et surtout qui m a donne le courage de me tourner vers une consultation.

papillon a dit…

Bonjour et bienvenue ici Zeylac!
Merci beaucoup pour ton commentaire.
Je suis contente que mes billets t'apportent une aide. Je te souhaite un très bon cheminement vers une reconstruction.
A bientôt!

Anonyme a dit…

fifitra

JE ne sais pas par où commencer, papillon, je suis bouleversée par ton histoire, je suis en pleine déprime en ce moment. J'ai aussi été excisée, j'ai l'impression de ne pas etre une femme complète , le pardon de mes parents j'ai envie de l'entendre aussi (même s'il existe très peu de chance qu'ils le fassent). On en parle pas chez nous. j'étais mariée avec un africain, je pense qu'il avait compris donc on en a jamais vraiment parlé, mais actuellement, je sors avec un français et dans l'intimité il m'a dit demandé pourquoi je n'avais pas de clitoris, je ne savais pas quoi lui répondre, c'est une blessure tellement profonde que je ne sais comment aborder le sujet avec lui. C'est trop dur, dois-je vivre toute ma vie avec ça?
Je ne sais pas comment ça se passe pour l'opération mais c'est sur le jour où j'aurais les moyens, je le ferais. Je n'en peux plus de vivre comme une handicapée et dans l'angoisse de l'intimité.
Papillon, merci de m'avoir aidé à en parler.
Je crois beaucoup de courage à toutes les filles qui ont cette atrocité car s'en est une.
Merci de me donner des infos sur l'opération si vous en avez les filles.

papillon a dit…

Bonjour et bienvenue Fifitra.
Non, tu ne dois pas vivre toute ta vie avec cette douleur. Déjà là, rien que d’en parler ici, ça peut, j’espère, te faire te sentir mieux. Dans mes billets suivants, tu auras des éléments de réponse concernant l’opération. Habites-tu en France? Si oui, sais-tu que l’opération est intégralement prise en charge par la sécurité sociale? Sinon, il te faut une assurance qui prend en charge les interventions à l’étranger. L’opération étant considérée comme une réparation et non pas comme une opération de chirurgie esthétique, normalement elles remboursent sans faire de difficultés.
Si tu veux que je te mette en contact avec d’autres jeunes femmes excisées, opérées ou non ou si tu as des questions plus précises auxquelles je peux t’apporter une réponse, n’hésite pas à m’envoyer un e-mail à papillonblog@gmail.com
Merci à toi d’être venue ici déposer tes mots et à très souvent j’espère!

Anonyme a dit…

Je ne peux plus avoir confiance en personne, il a détruit mon sentiment de confiance, trahie par la personne qui devrait m'aimer, ma mère.

Anonyme a dit…

Il y a la paix ici en savoir que mon âge est semblable au tien et nous avons nous deux supporté un trauma qui serait arrivé autour de la période de 1980.

papillon a dit…

Ah la confiance! C'est la première chose qui meure lors d'une excision, je crois, chère Anonyme. Mais au fil des années et des réflexions qu'on mène sur soi-même et sur son excision, elle revient. Lentement, c'est vrai, faire confiance à quelqu'un alors que la personne qui nous a mise au monde a détruit cette capacité en nous, c'est difficile. Mais c'est possible. Et nécessaire. Parce qu'il faut vivre. Il ne faut pas que tu restes emprisonnée dans le souvenir de ton excision. Peut-être que cela te ferait du bien d'en parler? A toutes fins utiles, je te donne mon e-mail: papillonblog@gmail.com

Chère aka r'acquel, si par là tu veux dire que ça te rassure de ne pas être seule, je comprends. C'est terrible à dire mais ça fait du bien de savoir qu'il y a d'autres femmes qui ont subi cette horreur. Ca permet de déculpabiliser, déjà, et en plus, ça permet de partager la douleur qu'on éprouve et que d'autres ont également. Ca permet de sortir du vase clos de sa propre excision et d'aller de l'avant...

tida a dit…

Salut papillon, j'espère que tu consulte encore ton blog, je souhaiterais rentrer en contact avec toi car j'ai vécu la même histoire et j'aimerais avoir quelques réponses à mes questions et surtout quelqu'un avec qui en parler sans être vue et donc sans avoir honte de plus ça me serait plus facile avec toi du fait que tu aies vécu la même chose.

tida a dit…

J'en ressent vraiment le besoin

Tiguida a dit…

J'ai vecu la même chose est jaimerais rentré en contact avec des personne qui ont subi ca sa m'aiderais beaucoup ... Si tu veux tida on peut en parler en rentran encontact par email...
papillon si tu consulte toujours tn blog jaimerais dicuter avec toi !

Anonyme a dit…

bonjour je m appelle fatou j ai 21 ans je suis une femme excisée je n ai jamais eu de relations sexuelles et j ai très peur d'avoir la première et je voudrais savoir si vous auriez le numéro d' un groupe de paroles pour femmes exicées

Anonyme a dit…

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Anonyme a dit…

C'est terrible ce qui m'arrive en lisant ton témoignage, je me retrouve dans tes dires sauf que moi j'avais 10 ans quand j'ai été excisée et infibulée. J'ai actuellement 24 ans, d'origine Djiboutienne...Je me rappelle de tout sec par sec, j'ai une colère intérieure, on n'en parle pas dans la famille,c'est un sujet tabou; ça me détruit, j'aurai aimé être un homme...