Hier soir, surprise: ma sœur au téléphone.
J’ai vraiment été étonnée. Je pensais qu’on ne se parlerait plus avant… au moins 3 mois, eu égard à notre dernière conversation. Comme quoi, la vie est pleine de surprises.
Elle a commencé à me faire une brillante démonstration de l'élasticité des limites du culot en entamant immédiatement, et le plus sereinement du monde, le récit détaillé et très enthousiaste de ses dernières vacances.
Sauf que ces derniers temps, je n’arrive plus à me concentrer sur les longs monologues égocentriques.
Bref, au bout d'une quinzaine de minutes, j’ai commencé à penser à tout autre chose, semant des « hun hun » par-ci par-là lorsqu’elle reprenait son souffle.
Bien évidemment, elle a très vite réalisé que je ne l’écoutais plus. « Mais tu fais quelque chose en même temps ou quoi? Tu ne m’écoutes pas, là! ». Je lui ai répondu que je me posais des questions sur les médicaments que je prenais (« Est-il sûr et certain que je peux arrêter le Brexin au bout de dix jours? Ne vaut-il pas mieux continuer jusqu'à ma prochaine consultation avec le docteur Foldès? Et si je l'appelais pour vérifier *? »).
« Ah. C’est fait alors? » me questionna t’elle (elle n’était pas au courant que mon opération avait eu lieu puisque la seule fois où je lui en ai parlé, en ce funeste dimanche de mortification, la date de l’intervention n’avait pas été évoquée…)
« Oui, mercredi 16 Mai », ai-je répondu.
Silence au bout du fil.
J’ai attendu (chat échaudé craint l’eau froide), puis quand il m’a semblé qu’elle attendait que je lui en dise un peu plus, j’ai prudemment commencé à lui décrire mes malheurs au royaume de la douleur.
C’est là que c’est arrivé. C’est fou ce don qu’a ma sœur pour me couper le sifflet en quelques mots.
« Ne parle pas en français ! Ne parle pas en français ! Parle en mandingue » me dit-elle d’un ton affolé.
« Hein? Pourquoi? Qu’est-ce qui se passe? »
« J’ai les mains prises et j’ai mis le haut-parleur là ! » me dit-elle. Avant d'ajouter, en mandingue : « Il est dans la pièce avec moi, il pourrait entendre ! »
!!!!!!!!
J’en suis restée sans voix. Littéralement.
Son compagnon n’est pas au courant. Il ne sait pas qu’elle a été excisée.
Mon Dieu!
Au moment où je réalisais ce qu'elle venait de dire, une surprenante chape de chagrin et d’anxiété pour elle s’est abattue sur moi.
Mon Dieu!
Mais comment va-t-elle faire? Elle va le lui cacher toute sa vie? A-t-elle le droit de ne rien dire? Est-ce que ça n'est pas néfaste pour son couple?
N’est-ce pas trop tard pour lui en parler de toute façon? Je veux dire, ça fait plusieurs années qu’ils sont ensembles et deux ans qu’ils vivent ensemble... Alors si elle décidait de le lui dire maintenant, ne lui en voudrait-il pas de le lui avoir caché pendant toutes ces années?
En même temps, ça me va bien de crier à la catastrophe alors que je n’ai pas eu à me poser ces questions.
Parce qu'avant d’être mon amoureux attitré, mon homme était un ami, un très bon ami même. Un ami dans les bras duquel j’avais pleuré à chaudes larmes après cette horrible visite chez le gynécologue qui m’avait dit que mon excision n’était pas grave (« c’est fait, c’est fait, que voulez-vous... » avec ce petit ton de reproche qui m’avait crucifiée) et que bon, ben je n’aurais jamais d’orgasme et qu’il fallait l’accepter (« il y a des femmes qui n’ont jamais d’orgasme de leur vie et vous en faites partie, voilà tout »).
Alors quand nous sommes sortis ensemble, il savait que j’avais été excisée. Et je n’ai pas eu à vivre ce moment, que je suppose très très difficile, de la révélation de son excision à son amoureux.
La conversation a beau s’être terminée sur un chuchotement de sa part (« je te rappelle dans la semaine ») qui m'a laissé penser qu’elle voulait peut-être enfin parler de son excision avec moi, je me sentais accablée.
Mais qu’est-ce qu’elle va faire?
Mince de mince, je suis triste pour ma sœur.
Et je ne sais plus quoi faire de notre hache de guerre.
* je l'ai appelé et il faut bien arrêter le Brexin au bout de dix jours