lundi 28 mai 2007

Au détour de la guerre ordinaire...

Ma famille m’appelle drôlement souvent ces derniers temps, je trouve.

Hier soir, surprise: ma sœur au téléphone.

J’ai vraiment été étonnée. Je pensais qu’on ne se parlerait plus avant… au moins 3 mois, eu égard à notre dernière conversation. Comme quoi, la vie est pleine de surprises.

Elle a commencé à me faire une brillante démonstration de l'élasticité des limites du culot en entamant immédiatement, et le plus sereinement du monde, le récit détaillé et très enthousiaste de ses dernières vacances.

Sauf que ces derniers temps, je n’arrive plus à me concentrer sur les longs monologues égocentriques.

Bref, au bout d'une quinzaine de minutes, j’ai commencé à penser à tout autre chose, semant des « hun hun » par-ci par-là lorsqu’elle reprenait son souffle.

Bien évidemment, elle a très vite réalisé que je ne l’écoutais plus. « Mais tu fais quelque chose en même temps ou quoi? Tu ne m’écoutes pas, là! ». Je lui ai répondu que je me posais des questions sur les médicaments que je prenais (« Est-il sûr et certain que je peux arrêter le Brexin au bout de dix jours? Ne vaut-il pas mieux continuer jusqu'à ma prochaine consultation avec le docteur Foldès? Et si je l'appelais pour vérifier *? »).

« Ah. C’est fait alors? » me questionna t’elle (elle n’était pas au courant que mon opération avait eu lieu puisque la seule fois où je lui en ai parlé, en ce funeste dimanche de mortification, la date de l’intervention n’avait pas été évoquée…)

« Oui, mercredi 16 Mai », ai-je répondu.

Silence au bout du fil.

J’ai attendu (chat échaudé craint l’eau froide), puis quand il m’a semblé qu’elle attendait que je lui en dise un peu plus, j’ai prudemment commencé à lui décrire mes malheurs au royaume de la douleur.

C’est là que c’est arrivé. C’est fou ce don qu’a ma sœur pour me couper le sifflet en quelques mots.

« Ne parle pas en français ! Ne parle pas en français ! Parle en mandingue » me dit-elle d’un ton affolé.

« Hein? Pourquoi? Qu’est-ce qui se passe? »

« J’ai les mains prises et j’ai mis le haut-parleur là ! » me dit-elle. Avant d'ajouter, en mandingue : « Il est dans la pièce avec moi, il pourrait entendre ! »

!!!!!!!!

J’en suis restée sans voix. Littéralement.

Son compagnon n’est pas au courant. Il ne sait pas qu’elle a été excisée.

Mon Dieu!

Au moment où je réalisais ce qu'elle venait de dire, une surprenante chape de chagrin et d’anxiété pour elle s’est abattue sur moi.

Mon Dieu!

Mais comment va-t-elle faire? Elle va le lui cacher toute sa vie? A-t-elle le droit de ne rien dire? Est-ce que ça n'est pas néfaste pour son couple?
N’est-ce pas trop tard pour lui en parler de toute façon? Je veux dire, ça fait plusieurs années qu’ils sont ensembles et deux ans qu’ils vivent ensemble... Alors si elle décidait de le lui dire maintenant, ne lui en voudrait-il pas de le lui avoir caché pendant toutes ces années?

En même temps, ça me va bien de crier à la catastrophe alors que je n’ai pas eu à me poser ces questions. En vérité, je ne sais pas si c'est grave et s'il y a lieu de s'affoler.

Parce qu'avant d’être mon amoureux attitré, mon homme était un ami, un très bon ami même. Un ami dans les bras duquel j’avais pleuré à chaudes larmes après cette horrible visite chez le gynécologue qui m’avait dit que mon excision n’était pas grave (« c’est fait, c’est fait, que voulez-vous... » avec ce petit ton de reproche qui m’avait crucifiée) et que bon, ben je n’aurais jamais d’orgasme et qu’il fallait l’accepter (« il y a des femmes qui n’ont jamais d’orgasme de leur vie et vous en faites partie, voilà tout »).

Alors quand nous sommes sortis ensemble, il savait que j’avais été excisée. Et je n’ai pas eu à vivre ce moment, que je suppose très très difficile, de la révélation de son excision à son amoureux.

La conversation a beau s’être terminée sur un chuchotement de sa part (« je te rappelle dans la semaine ») qui m'a laissé penser qu’elle voulait peut-être enfin parler de son excision avec moi, je me sentais accablée.

Mais qu’est-ce qu’elle va faire?

Mince de mince, je suis triste pour ma sœur.

Et je ne sais plus quoi faire de notre hache de guerre.


* je l'ai appelé et il faut bien arrêter le Brexin au bout de dix jours

samedi 26 mai 2007

Il est quand même là

Mon père m’a appelée ce matin.

J’ai été surprise. Il est actuellement au Sénégal et je pensais que cela constituerait un excellent prétexte pour ne pas me contacter. Je n’avais pas eu de nouvelles de lui depuis le 16 Mai au soir, lorsque ma mère me l’a passé au téléphone. J’avoue qu’il ne m’a pas manqué, vu cet horripilant ton neutre qu’il avait.

Au contraire, je lui en voulais beaucoup de ne pas réussir à faire tomber ses barrières pour se rapprocher de moi en une telle occasion. Non mais franchement ! Il fallait quoi pour qu’il fasse un pas vers moi ? Que je sois à l’article de la mort ?

Bien sûr, je me suis répété qu’il n’allait pas changer comme par enchantement, juste à la lecture de ma lettre, et me parler de ses sentiments et de ses émotions. Je me suis dit et redit que ça touchait à un souvenir douloureux pour lui. Mais quand même ! Il s’agissait de moi et d’être là pour moi. Ca ne me semblait pas si insurmontable que ça.

Ces derniers jours pourtant, ma colère avait diminué pour laisser de la place à la déception. Mon père me décevait. Plus de général, plus de piédestal. Juste un homme et ses limites. Plus de pouvoirs magiques, plus d’héroïsme. Juste un homme qui n’exprime pas ses émotions. Même pas cette satanée fierté dont il me nourrit d’habitude. Ah ça, j’étais vraiment dépitée.

Du coup, quand je l’ai entendu me demander comment se déroulait ma convalescence, la joie et la reconnaissance que j’ai éprouvées m’ont vraiment surprise.

Ça m’a fait tellement plaisir qu’il aborde la question de lui-même que je ne me suis pas dérobée. Bon, je ne suis pas entrée dans les détails mais je lui ai dit comment je me sentais aujourd’hui, je lui ai expliqué que j’ai eu très mal au début, que je ne pouvais pas marcher mais qu’aujourd’hui la douleur et les tiraillements étaient loin et que j’avais retrouvé une démarche normale bien que lente…

Je suis ra-vie qu'il ait téléphoné. Là, en relatant cet appel, je souris encore.

vendredi 25 mai 2007

Le prix de la vérité

C’est officiel. Je marche normalement depuis aujourd’hui. Je n’ose pas faire de mouvements brusques ni rien d’un peu risqué, mais ma démarche est normale.

J’ai définitivement quitté les limbes du tiraillement permanent. Je peux maintenant parler de contracture ponctuelle.

Mon arrêt maladie se termine aujourd’hui et j’en suis fort contente. Parce que je deviens chèvre, là, à force d’être enfermée.

La solitude me pèse un peu, malgré les coups de fil quotidiens de ma cousine. Ne plus être tendue vers un objectif tel que mon opération me laisse désœuvrée et un peu désorientée…

Le fait de devoir répondre aux questions de mes collègues, voisins, amis et belle-famille me travaille aussi énormément en ce moment. Ils veulent tous savoir pourquoi j’ai été arrêtée pendant dix jours.

A chaque fois, j’hésite quant à la réponse à leur donner.

Leur dire la vérité m’est difficile. Je n’ai pourtant pas honte, c’est désormais pour moi une évidence que je n’ai rien à me reprocher quant à mon excision. Non, c’est autre chose. Mais je ne sais pas précisément quoi.

Peut-être est-ce ce que j’imagine que je verrai dans leur regard qui me freine ?

J’ai peur de ne plus avoir le même statut à leurs yeux. J’ai peur d’être cataloguée VICTIME alors que je suis bien plus que cela. Je ne veux pas être l’incarnation de la « femme qui a été excisée quand elle était petite ». Je ne veux pas être réduite à cela.

Je crois qu’au fond, je ne fais pas beaucoup confiance aux gens puisque je n’arrive pas à me débarrasser de cette crainte.

Pourtant, mentir me répugne. Alors je biaise en fonction des informations qu’ils ont.

J’élude les questions de ceux qui ne savent pas que j’ai été opérée (collègues, voisins), en me contentant de dire que je vais bien mieux et que je reprends mon travail lundi. A ceux qui sont au courant de l’intervention, je parle d’un souci gynécologique. Certains s’arrêtent à cette explication mais d’autres me demandent des détails. Et là, je me sens coincée.

Je n’ai pas envie d’expliquer que mon opération était une reconstruction clitoridienne. Je n’ai plus envie de l’expliquer. Quand je le fais, je ne peux m’empêcher de guetter la réaction de mon interlocuteur. Et trop souvent, cette réaction me déçoit ou m’agace.

Le plus souvent, il ou elle me répond « Ah bon. Ok » et ça s’arrête là. Pas de question, pas même un signe d’émotion, rien du tout. Aucun intérêt. Et je suis déçue, voire blessée.

A l’inverse, une réaction empathique me paraît très vite suspecte, comme dictée par la bienséance. Je ne peux m’empêcher de trouver qu’elle sonne faux.

Dans ces cas-là, on dirait que mon interlocuteur n’a pas entendu la partie de mon discours où j’explique que j’ai cheminé et que mon opération était une reconstruction. Du coup, j’endure toutes sortes de phrases convenues sur la brutalité des hommes en Afrique, sur la nécessité d’enrayer cette pratique abominable. Et ça m’énerve. Grandement même. Parce qu’au final, ces phrases restent très générales et très éloignées de moi et de ce qui m’arrive. Rien que d’y penser, j’ai envie de mordre.

En réalité, je crois qu’aucune réaction ne me convient réellement. Dire ce qui m’arrive en ce moment me coûte beaucoup parce que ça revient à lever le voile sur un sujet très intime, quelque chose qui me tient profondément à cœur. C’est comme un précieux cadeau. Alors forcément, en face, c’est difficile d’être à la hauteur.

Quand j’y pense, c’est peut-être bien un cadeau empoisonné que je fais là…

En même temps, je ne veux pas abîmer mes relations avec eux en manquant d’honnêteté. J’ai la sensation de « devoir » la vérité à certains (comme les membres de ma belle famille ou mes amis proches) sous peine de fausser à jamais nos relations.

Et puis si je ne peux pas leur confier de choses graves, sont-ils vraiment mes amis ? Que peut-on attendre de ceux qu’on considère comme ses amis, au fond ?

Ca m’ennuie d’être braquée ainsi et de ne pas pouvoir juste dire les choses sans me soucier de leur impact sur mon interlocuteur.

Alors, que faire ? Garder le secret ou dire systématiquement la vérité ?

Pour l’heure, je gère au cas par cas. Mais je crois qu’il faut que je travaille sur cette question en thérapie. Vivement lundi.

mardi 22 mai 2007

Analyse de la douleur

Aujourd’hui, je marche presque normalement. Presque. Parce que je me tiens bizarrement quand je suis debout. J’accentue ma cambrure et du coup, bien évidemment, j’ai mal au dos au bout de quelques minutes à la verticale.

La décroissance quotidienne de la douleur a été la bonne surprise de mes réveils depuis vendredi. Je ne peux même plus vraiment parler de douleur, à l’heure où j’écris ces mots. C’est plutôt de tiraillement qu’il s’agit. Du coup, je me suis mise à ignorer mes meilleurs amis les antidouleurs.

Pourtant, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas mieux d’être tiraillée que d’avoir mal. Loin de là, même.

Le tiraillement a ceci d’angoissant que j’ai l’impression que quelque chose pourrait céder, causant une hémorragie ou bousillant tout le travail du chirurgien. Alors je suis attentive à mes sensations, je change de position dès que je sens une augmentation de la tension dans la région opérée. Lorsque je m’assieds ou que je m’allonge, il me faut une ou deux minutes pour trouver une posture confortable. Et donc, debout, je me tiens d’une manière qui minimise la contracture tout en me permettant de trouver mon équilibre, au détriment de mon dos.

La douleur et les picotements ont pourtant une utilité: ce sont eux qui me rendent assidue dans les soins que je dois me prodiguer. En effet, je dois faire une toilette intime 4 fois par jour avec des compresses stériles trempées dans de la Bétadine rouge diluée. Et il faut que je rince abondamment. Ce qui revient à utiliser mon pommeau de douche. Et donc à prendre une demi-douche à chaque fois. Quatre fois par jour. Au réveil (bon, là, ce n’est pas trop contraignant, c’est vrai, puisque je prends une douche complète de toute façon), vers 14h, puis vers 19h et enfin, avant d’aller me coucher. C’est chiant, je le dis tout net. Alors, heureusement qu’il y a eu cette douleur, et qu’il y a maintenant ces tiraillements. Si je n’avais rien senti du tout, ça aurait été très dur de ne pas faire sauter quelques-uns des soins.

Le clitoris est un organe très long (11 cm à peu près) dont seul un petit centimètre se trouve à l’extérieur du corps. L’excision consiste à couper ce bout qui dépasse, en ravageant souvent les petites lèvres au passage.

Pour effectuer la réparation, le chirurgien a donc ôté la cicatrice résultante de mon excision, puis il a incisé et dégagé mon clitoris. Il a reconstitué un gland clitoridien au bout, qu’il a ensuite repositionné afin de le faire dépasser. Pour que le clitoris ne reprenne pas sa position antérieure (qu’il ne « rentre » pas de nouveau), il a « calé » et suturé avec du fil résorbable l’avant des grandes lèvres pour qu’elles le maintiennent comme il l’a placé*.

Dans mon cas, il a aussi injecté un produit dans les petites lèvres, afin qu’elles reprennent leur aspect normal.

D’où les tiraillements et la douleur. Toute ma zone génitale est gonflée, tendue et sensible. J’ai aussi quelques pertes rosâtres (rien à voir avec l’hémorragie que j’avais imaginée lorsque j’ai vu les serviettes hygiéniques géantes de la clinique mardi soir, ni avec des règles non plus) mais le flux est très peu abondant.

Lors de mes toilettes intimes quotidiennes, j’utilise un petit miroir pour voir comment les choses évoluent. Avant-hier, pour la première fois, j’ai aperçu un petit bouton rose entre mes grandes lèvres. Mon clitoris. Ce petit bout de chair, c’était mon clitoris !

La vache ! J’en suis restée bouche bée.

J’étais tellement obnubilée par la douleur, depuis ma sortie de la clinique, que j’avais complètement mis de côté une partie de la réalité : J’AI RETROUVE MON CLITORIS ! Pour de bon !

La vache, la vache, la vache, c’est géniaaaaaal!!

Alors c’est sûr, je ne le sens pas du tout pour le moment. Il va me falloir attendre que la douleur, les picotements et les tiraillements plient bagage pour de bon. Ce qui devrait se faire d’ici mercredi prochain au plus tard. A ce moment-là, je crois que je percevrai sa présence (et ça va sûrement être trèèèès bizarre de sentir que j’ai un organe en plus). Pour ce qui est de sa sensibilité propre, de le « sentir de l’intérieur », ça devrait survenir après les 6 semaines de cicatrisation.

Encore que je ne sais pas trop à quoi m’attendre pour ce qui est de la cicatrisation de mes petites lèvres…

Je ne suis pas pressée de savoir ce que je vais ressentir. Pour l’heure, mon urgence, ce que j’attends avec impatience, c’est le moment où je n’aurai plus aucune sensation désagréable.

Je comprends parfaitement, maintenant, ce que cette femme a voulu dire lorsqu’elle a déclaré « se sentir toujours excisée dans sa tête, malgré l’opération ». Pour le moment, je n’ai pas l’impression que quoi que ce soit ait changé dans mon corps, il y a ces désagréments qui m’empêchent de le sentir et donc de réaliser. Et il n’y a pas encore de changements notables dans ma tête. Elle a bien enregistré la théorie de ce qui est arrivée la semaine dernière, elle sait que mon corps est reconstruit, mais ça reste encore abstrait.

Je patiente, je patiente, je sais bien que ça viendra…



*sources :

- Victoire sur l’Excision, Pierre Foldès, le chirurgien qui redonne l’espoir aux femmes mutilées, l’excellent livre d’Hubert Prolongeau (Editions Albin Michel)

- Urofrance, le site de l’urologie française

- Excision - On peut soigner les femmes victimes d’excision - Doctissimo


lundi 21 mai 2007

De l'autre côté du miracle

Quand j’ai ouvert les yeux, j’étais dans un lit, dans une autre pièce. Et j’avais horriblement mal. J’ai pleuré en répétant « J’ai mal » et l’infirmière, qui, deux minutes avant m’avait affirmé que « non, je n’avais pas mal » (quand j’y repense, je suis à nouveau toute énervée), m’a mis une perfusion pour atténuer la douleur.

Je crois que l’opération a duré une vingtaine de minutes et mon anesthésie une heure à peu près.

Je ne me souviens pas bien du trajet jusqu’à ma chambre, j’étais comme dans du coton. Ma voisine de chambre n’était pas là. Je ne me rappelle pas son retour. Je somnolais, je me sentais très fatiguée, j’avais mal…

Je me souviens toutefois de ma voisine qui exigeait quelque chose à manger et des explications des infirmières (il faut attendre plusieurs heures avant de manger, le temps que l’anesthésie générale s’estompe totalement, sous peine de s’étouffer en avalant de travers). Et je me rappelle aussi qu’une infirmière a pris ma tension 3 ou 4 fois dans la journée.

Le premier de mon entourage à se manifester fut mon homme. Il est venu me voir vers 16 heures, juste au moment où on nous apportait le goûter (compote de pommes, deux petits beurres et une madeleine). J’ai été si contente de le voir que j’en aurais pleuré quand il est parti.

Ensuite j’ai reçu des coups de téléphone. De mon meilleur ami d’abord. De ma cousine ensuite. Puis de ma mère. Je lui avais donné le numéro de la clinique mais je ne pensais pas qu’elle m’appellerait.

Je n’arrive toujours pas à savoir exactement ce que j’ai ressenti en l’entendant, mais il y avait une pointe de soulagement, en tout cas, et aussi de la joie. Elle m’a posé plein de questions, comment ça s’était passé, comment je me sentais, est-ce que j’avais mal, quand est-ce que je sortirais, etc… Elle m’a recommandé de bien me faire expliquer la marche à suivre une fois que je serais rentrée à la maison. Ça m’a vraiment fait plaisir que ma mère s’intéresse comme ça à moi, ça m’a touchée. C’était plutôt nouveau pour moi.

Ma mère m’a ensuite passé mon père, qui venait de rentrer. Il avait toujours ce ton distant, gêné. Il ne m’a pas beaucoup parlé, juste demandé si ça allait, je crois. Là encore, je ne me souviens pas bien des mots que nous avons échangés. Je n’avais pas envie de lui parler, je lui en voulais de son ton, de cette distance que je sentais, de cette rigidité.

Dire que j’avais peur qu’il m’engueule, je trouve sa quasi indifférence pire, finalement. Je suis déçue quand je pense à mon père. Déçue et en colère.

La nuit fut difficile, j’ai mis beaucoup de temps à m’endormir, contrairement à ma voisine de chambre. J’avais mal, malgré les cachets antidouleurs qu’une infirmière est venue m’apporter. J’avais envie de faire pipi mais je n’osais pas, j’avais peur d’avoir encore plus mal. Et puis il y avait cette serviette hygiénique géante qui me gênait aussi.

Le lendemain matin, j’étais à nouveau très impatiente. J’avais envie de rentrer chez moi. Vite. Une infirmière est passée nous prévenir que le docteur Foldès allait venir nous voir et qu’il fallait attendre de l’avoir vu avant de quitter la clinique.

En l’attendant, j’ai un peu bavardé avec ma voisine de chambre. Elle a 36 ans et 4 enfants d’un premier mariage malheureux. L’opération, dans son cas, c’était parce qu’elle se sent frustrée, sexuellement. Et aussi parce qu’elle a peur que son second mari la quitte si elle n’est pas plus « enjouée » au lit. Elle m’a dit qu’à chacun de ses accouchements ou à chaque fois qu’elle a eu l’occasion de voir un gynécologue, elle a demandé, en vain, s’il était possible de faire quelque chose pour elle et son absence totale de plaisir. Elle avait entendu parler du docteur Foldès à la télévision et avait appelé dès le lendemain pour prendre rendez-vous.

Le docteur est passé en coup de vent. Il nous a remis, à ma voisine et à moi, une ordonnance et une fiche intitulée « Suites immédiates de la chirurgie réparatrice du clitoris ». Puis il m’a fait un arrêt de travail jusqu’au vendredi 25 Mai. Il nous a ensuite expliqué très vite les soins à faire puis est reparti. Je n’ai pas eu le temps d’écrire ce qu’il m’a dit, je n’ai pas eu le temps de lui dire que j’avais plus mal du côté gauche de mon sexe que du côté droit, je n’ai pas eu le temps de lui demander si c’était normal.

Avant de partir, il nous a dit d’appeler dans 3 semaines pour savoir quel jour il consulte et de nous présenter, sans rendez-vous, un jour où il serait là.

Quelques minutes plus tard, suite à un appel de l’accueil de la clinique, je suis descendue (à une allure de tortue, ça faisait assez mal, quand même) régler le dépassement d’honoraire de 300 euros du chirurgien et les 9 euros que m’ont coûté le téléphone et la télévision.

Mon homme est arrivé au moment où la jeune femme de l’accueil me remettait un bordereau de signature patient / assuré et un bordereau d’hospitalisation en trois exemplaires chacun (un pour moi, un pour la sécurité sociale et un pour la mutuelle).

J’étais d’excellente humeur, je gazouillais dans l’escalier avec mon chéri, en remontant chercher mon sac. Je ne pouvais pas m’empêcher de sourire, tellement j’étais heureuse. J’avais envie d’étreindre tout le monde. Pourtant, l’ambiance était étrange. La clinique était très calme en ce jeudi férié, j’avais l’impression qu’il n’y avait personne à part la jeune femme qui tenait l’accueil et les patientes du docteur Foldès qui circulaient dans le couloir (je les ai reconnues à leur démarche, si semblable à la mienne).

J’en ai croisée une dans l’escalier en redescendant. Je lui ai souri mais elle avait un air lugubre que je n’ai pas compris. La vie était si belle, comment était-ce possible d’être triste ?

Mon homme m’a emmenée à la pharmacie dès notre arrivée à Paris. J’ai acheté :

- du Brexin (1 comprimé à prendre chaque matin pendant 10 jours)

- du Di antalvic (2 à 4 comprimés par jour en cas de douleurs)

- Un flacon de Bétadine rouge et un paquet de cent compresses stériles (je dois faire ma toilette intime 4 fois par jour avec de la Bétadine diluée et des compresses et rincer abondamment ensuite)

- Un paquet de serviettes hygiéniques en coton tout doux

Puis il m’a emmenée dévorer une énorme entrecôte. Avec plein de frites. Pour me faire oublier la nourriture déprimante et plutôt légère au niveau des portions de la clinique.

Quand j’ai rallumé mon portable, j’avais un message de ma mère qui voulait savoir si j’étais bien rentrée et qui me répétait qu’elle était à 100% avec moi. Je l’ai rappelée, j’étais toute contente de bavarder avec elle. Je lui ai parlé de ma voisine de chambre, de la délicieuse entrecôte que je venais de manger, de mes soins… Avant de raccrocher, elle a remercié mon homme de s’occuper si bien de moi. Ça m’a fait très plaisir de la sentir si présente. C’était agréable. Je me sentais apaisée en raccrochant.

J’ai aussi appelé ma cousine. J’avais quand même eu le temps de demander au docteur Foldès comment devaient procéder les femmes habitant à l’étranger pour bénéficier de l’opération. En réalité, c’est plutôt simple : il suffit d’avoir une assurance qui fonctionne à l’étranger et qui prendra en charge les frais d’opération. Elle doit donc venir se faire examiner par le docteur Foldès qui lui établira un devis à remettre à son assurance. Dès que cette dernière aura donné son accord, elle pourra prendre rendez-vous pour se faire opérer.

Ma cousine était ravie. Et moi aussi.

Voilà comment se sont passées ces journées si essentielles. Je suis contente d’en avoir couché le détail ici. Pour moi, pour d'autres femmes excisées, pour mes enfants plus tard, pour tout le monde, en fait. Oui, je suis contente. Même si j’ai trouvé l’exercice curieusement difficile…

dimanche 20 mai 2007

Le jour essentiel

Malgré le calmant que j’avais avalé, j’ai ouvert les yeux très tôt mercredi matin. Je ne sais pas à quelle heure exactement, mais il faisait toujours nuit dehors.

Les yeux ouverts dans le noir, j’essayais d’évaluer l’heure à laquelle j’entrerais en salle d’opération. Une infirmière, à qui j’avais posé la question, m’avait dit qu’on ne le saurait qu’au matin, que le docteur Foldès commençait à opérer à 9h30 et qu’il y avait beaucoup de patientes.

Je me disais qu’étant arrivée la veille, j’allais sans doute passer parmi les premières, ou tout au moins avant celles qui arriveraient le matin.

J’ai été ravie, quand vers 8 heures, une infirmière est venue me dire d’aller prendre ma douche. Elle m’apportait un petit gobelet sur lequel mon nom était écrit au feutre, suivi de la mention « 8h30 ». Dans le gobelet, il y avait un comprimé comme celui que j’avais pris la veille et aussi un gros comprimé effervescent. Elle m’a indiqué qu’il fallait que je les prenne, avec très peu d’eau, à mon retour de la douche, même si « je n’avais pas l’air d’avoir besoin d’un calmant » selon elle.

C’est avec un grand sourire que, toute contente, j’ai quitté la chambre, au moment même où ma voisine arrivait. J’allais sans doute être opérée tôt. Sinon, l’effet des calmants allait finir par s’estomper.

En revenant de la douche, j’ai revêtu le vêtement bleu marine qui m’avait été remis la veille (une sorte de chemise à mettre « à l’envers », avec les fesses à l’air) puis j’ai pris les médicaments et je me suis allongée sur mon lit sans plus me relever, suivant les instructions de l’infirmière. Elle m’avait expliqué que la tête me tournerait un peu après avoir ingéré les cachets et qu’il ne fallait pas prendre le risque de tomber.

Les minutes passaient et mon impatience grandissait. Impatience est vraiment le mot qui caractérise le matin de ce mercredi 16 Mai.

Ma voisine de chambre, en chemise bleue elle aussi, un gobelet sur lequel il était marqué « 9h30 » posé devant elle, m’a souri avec hésitation. Puis elle m’a demandé si j’allais moi aussi me faire opérer « d’en bas ». Quand j’ai acquiescé, elle a commencé à m’expliquer qu’elle n’avait jamais eu de plaisir. Pas une once. Depuis le début de sa vie sexuelle. Je ne savais pas quoi lui répondre. Je n’avais pas envie de lui répondre, en fait. J’avais hâte qu’on vienne me chercher. Elle m’a demandé mon origine, je lui ai demandé son prénom, on s’est souri, puis on s’est tues.

Vers 10h, un jeune homme en pyjama bleu avec une charlotte sur la tête est venu me chercher. J’ai quitté mon lit pour m’installer sur le brancard qu’il avait apporté. Il m’a couverte d’un drap bleu puis m’a emmenée. Il était drôle, il faisait de l’humour dans l’ascenseur métallique qu’on a pris pour rejoindre le bloc, deux étages plus bas.

J’ai attendu quelques minutes dans une sorte d’antichambre, sous une couverture de survie, avec une charlotte sur la tête. Il faisait froid. Et ma joie retombait doucement. J’y étais presque. Je me sentais un peu flottante.

Arrivée dans le bloc 2, je me suis installée sur une drôle de table semblable aux tables d’examen des gynécologues, avec des étriers au bout. Là, les étriers étaient fait pour qu’on y mette les pieds mais aussi pour soutenir les mollets. Correctement placée, j’avais en fait le dos sur la table, les fesses dans le vide, les jambes légèrement repliées et les bras en croix, posés sur des sortes d’accoudoirs.

Une infirmière est venue me fixer un appareil pour mesurer la tension au bras droit. En me couvrant (il faisait vraiment froid), elle m’a regardée et m’a demandé si j’étais inquiète. C’est avec un tout petit filet de voix que j’ai dit « oui », avant de rectifier « en fait, je suis émue, je crois ». « Tout ira bien » m’a-t-elle rapidement répondu avant de quitter la pièce.

Je n’étais pas triste mais j’avais envie de pleurer. Les minutes passaient sur la grosse horloge blanche que je voyais dans le couloir. Je me demandais vaguement si, finalement, le docteur Foldès n’avait pas eu un accident en venant, le matin.

Puis, vers 10h15, Docteur Iceberg est arrivé pour m’anesthésier. « On s’est déjà vus » m’a-t-il dit. « Oui, je me souviens de vous » ai-je répondu. Il m’a posé une perfusion dans le bras gauche, un truc assez sophistiqué avec deux entrées, entouré d’un énorme sparadrap. Il est ensuite sorti discuter avec d’autres personnes dans le couloir.

Pendant ce temps, les larmes me montaient aux yeux, débordaient et commençaient à couler sur mes joues.

L’arrivée du docteur Foldès dans le bloc vers 10h30 a fait bondir mon cœur. Il était là, vivant, souriant, il allait m’opérer. LE moment que j’avais attendu depuis si longtemps était arrivé. C’était donc à ça que ça ressemblait un miracle. Je n’arrivais plus à retenir mes larmes.

« Ah ! Mademoiselle XXX! Alors nous allons réparer le clitoris et aussi… ». Il n’avait pas fini sa phrase, et me regardait, comme pour vérifier que je me souvenais de ce qui était convenu. « On répare aussi les petites lèvres » me suis-je dépêchée de dire. « Oui. Je vais chercher les produits » a-t-il déclaré en quittant la pièce.

Au moment où il sortait, le docteur LaBanquise commença à injecter le contenu translucide d’une seringue dans ma perfusion. Il injecta aussi le contenu laiteux de deux autres seringues, puis me posa un masque à oxygène sur le visage, m’enjoignant de respirer dedans. « Vous allez dormir » me dit-il.

Je me rappelle avoir eu une drôle de sensation dans la tête. Comme des picotements. Puis je me suis brutalement endormie.


(à suivre. Le récit étant plutôt long, je l'ai découpé en plusieurs parties. La suite, demain. Promis)

vendredi 18 mai 2007

Ebullition pré-opératoire

C’est sous la pluie que je suis partie pour la clinique Louis XIV, mardi après-midi. Sous la pluie et plutôt sereine. Je souriais, j’étais contente et calme. Ca y était enfin, l’attente se terminait. Je ne pensais plus au coup de fil de ma mère, je ne pensais qu’à ce miracle que j’allais toucher du doigt pour de bon et j’avais le cœur qui pétillait. Je me sentais comme en vacances…

Dans le RER qui m’emmenait à Saint Germain en Laye, j’ai eu deux conversations téléphoniques surprenantes : D’abord, mon père m’a appelée. Curieusement, je n’ai pas retenu grand-chose de ce qu’il m’a dit. C’était très décousu comme conversation. Et puis il avait un ton neutre, dégagé, qui m’a surprise et déstabilisée. A un moment donné, il m’est même venu à l’esprit qu’il me parlait comme si j’allais juste me faire enlever les dents de sagesse, sans émotion particulière.

Il m’a d’abord demandé comment j’allais. Puis il m’a dit que ma mère l’avait appelé pour lui parler de mon opération et de la lettre. Il m’a dit qu’il ne l’avait pas encore lue mais qu’il comptait le faire dès son arrivée à la maison, mercredi soir. Il m’a parlé de la déception de ma mère de ne pouvoir être à mes côtés, m’a dit que c’était dommage que je les aie prévenus si tard, qu’elle aurait pu venir me soutenir si elle avait été au courant plus tôt. Il m’a dit qu’il pensait que j’étais entre de bonnes mains et m’a souhaité bon courage.

Tout le long de la conversation, j’ai retenu mon souffle, j’étais très mal à l’aise et je lui ai fourni mes habituelles « réponses en carton » rassurantes et automatiques. Je n’avais pas du tout peur. Pourtant, je n’avais qu’une hâte : raccrocher. Et c’est avec soulagement que je l’ai remercié de son appel quand il m’a dit qu’il devait me laisser.

Puis ma cousine m’a appelée. Je lui ai parlé de l’appel de ma mère, la veille. Je lui ai dit que je n’étais pas sûre de la croire. Sa réponse m’a surprise : elle m’a dit qu’il était très plausible que ma mère n’ait pas participé à l’organisation de notre excision, voire qu’elle n’ait pas eu voix au chapitre. « La pauvre, que voulais-tu qu’elle fasse à part se soumettre à la volonté de ta grand-mère » m’a-t-elle dit.

C’est vrai que dans la culture sénégalaise, une femme a une autorité certaine sur sa belle-fille, qui lui doit respect et obéissance, mais aussi sur ses petits-enfants. Ma mère m’avait-elle dit la vérité, alors ? Ma grand-mère paternelle avait-elle été l’unique instigatrice de la boucherie?

Ma cousine m’a confirmé que mon père en avait vraiment fait baver à ma mère, après (mais je ne sais toujours pas ce que ça veut dire exactement). En marchant vers la clinique, je me suis demandé si mon père lui en avait voulu parce qu’il croyait vraiment qu’elle était de mèche avec ma grand-mère, ou si c’était parce qu’elle n’avait rien fait pour empêcher ma grand-mère de nous mutiler, parce qu’elle ne nous avait pas protégées…

Et puis je suis arrivée à la clinique et là, je n’ai pu penser qu’à mon soulagement d’être là. Je n’étais pas morte en chemin, la clinique n’avait pas brûlé, ça allait arriver pour de vrai, j’allais être opérée…

J’ai été installée dans une chambre double. J’avais demandé un téléphone, n’ayant pas le droit d’utiliser mon portable, et la télévision, mais je n’avais pas spécialement envie d’être dans une chambre individuelle. Le très jeune infirmier qui m’a menée à ma chambre m’a dit que l’autre lit serait occupé par une autre patiente du docteur Foldès qui arriverait le lendemain matin.

Il m’a fait remplir un formulaire sur mes affaires (avais-je un téléphone portable avec moi ? une carte bleue ? un chéquier ? Quel était le dernier numéro de chèque utilisé ? Avais-je un appareil photo numérique ? Mes papiers ? etc…) avant de me demander si je voulais mettre quelque chose au coffre, ce qui n’était pas le cas.

Ses questions m’avaient donné l’impression d’avoir atterri dans une sorte de coupe-gorge et ça a dû se voir sur mon visage parce qu’il m’a assuré qu’il n’y avait pratiquement aucun incident à la clinique, que ce questionnaire n’était qu’une simple précaution, au cas où. Ce qui ne m’a que très légèrement rassurée.

Après le formulaire, il a vérifié que je n’avais ni vernis à ongles, ni bijoux (j’ai dû laisser mes bracelets en argent à la maison, et sans eux, je me sentais un peu bizarre, quand même). Ensuite, il a bredouillé, a piqué un fard et m’a demandé très vite si j’étais bien épilée.

Il m’a montré les douches, situées à l’extérieur de la chambre et m’a dit que je devais prendre une douche le soir même avant de me coucher et le lendemain matin quand une infirmière viendrait me réveiller. Il m’a indiqué la bétadine rouge avec laquelle il fallait que je me lave méticuleusement, de la tête aux pieds et par deux fois, en insistant sur les cheveux, les ailes des narines, les ongles (des pieds et des mains), le nombril et les régions uro-génitale et anale.

De retour dans ma chambre, j’ai eu la visite d’une seconde infirmière, venue m’apporter ce qui ressemblait à des serviettes hygiéniques géantes « pour après l’opération ». Ca m’a inquiétée. Allais-je donc beaucoup saigner ?

Puis l’anesthésiste de garde cette nuit-là est passée dans ma chambre. C’était une femme avec un accent nordique. Elle m’a informée du fait que j’allais recevoir un calmant en comprimé ce soir-là et un autre le lendemain matin. Elle m’a ensuite demandé si j’avais des questions, ce à quoi j’ai répondu non.

Je me sentais seule dans cette chambre. J’ai appelé mon homme, puis le repas est arrivé : une soupe de légumes, une part de quiche et sa salade verte mêlée de quartiers de tomate, du pain et du fromage à tartiner et, en dessert, un yaourt. Ca a accentué mon cafard, ce dîner.

J’ai lu et regardé la télévision puis vers 20h30, je suis partie prendre ma douche du soir.

Et c’est là que j’ai découvert la grande différence entre une chambre de clinique et une chambre d’hôtel : les serviettes ne sont pas fournies. Pire : ils n’en ont pas du tout. J’ai donc dû m’essuyer avec un drap gracieusement prêté par un infirmier de nuit, avant de revêtir ma nuisette et de me coucher, mon cachet avalé.

Je me sentais un peu triste quand même, mardi soir.

Triste, et très impatiente d’être à mercredi. Pour en finir enfin.

(A suivre)




Après la pluie...

Ca y est, je peux enfin m’asseoir suffisamment longtemps sans souffrir, pour écrire un billet.

J’AI ÉTÉ OPÉRÉE ! ÇA Y EST ! J’AI ÉTÉ OPÉRÉE! YOUPIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII!!!!

Mon Dieu que je suis contente ! Si je pouvais, j’en danserais de soulagement et de joie.

Mais je ne peux pas, j’ai mal quand je bouge. Moins qu’hier, mais quand même, je déguste. J’ai souvent lu qu’après l'opération, on ne ressentait aucune douleur, à peine une gêne. Aujourd'hui, je suis en mesure d'affirmer que ça n'est pas forcément vrai pour tout le monde. Par exemple dans mon cas, les comprimés anti-douleurs sont récemment devenus mes meilleurs amis.

Je ne peux pas encore fêter l'événement au champagne, mes meilleurs amis me sommant d'attendre un peu, alors je vais relater ce qui s'est passé depuis mardi matin et mon dernier billet d'avant le Big Bang...


mardi 15 mai 2007

L'incroyable appel

Hier soir, sur le coup des 21h, ma mère m’a appelée.

Quand j’ai décroché et que je l’ai reconnue, j’ai éprouvé une immense surprise et aussi, je crois, du soulagement. Mais pas de peur, ni de colère, ni de tristesse. Au contraire, j’ai été contente qu’elle m’appelle.

Elle m’a dit qu’elle avait reçu ma lettre.

Elle m’a dit qu’elle a reconnu mon écriture sur l’enveloppe, qu’elle a eu peur que je lui écrive pour lui parler d’un drame et que du coup, elle l’a lue d’une traite.

D’un côté, ça m’a fait plaisir qu’elle me dise qu’elle était contente que je lui aie écrit, qu’elle comprenait ma démarche, que c’était mon corps et que c’était important que je leur en parle, de cette opération. Ca m’a touchée qu’elle regrette que je ne lui en aie pas parlé avant et qu'elle se désole de ne pas pouvoir être là demain avec moi. Ses questions sur le déroulement de l’opération et sur les consultations avec le chirurgien et l’anesthésiste m’ont fait du bien. J’ai aimé quand elle m’a demandé le numéro de la clinique et qu’elle m’a dit qu’elle m’appellerait là-bas demain soir. Ca m’a fait doux au cœur quand elle m’a dit qu’elle penserait à moi.

Mais il y a eu cette autre partie de la conversation. Cette partie où elle m’a confié une autre version de ce qui est arrivé. Ces minutes où elle m’a dit qu’elle n’est pour rien dans notre excision à ma sœur et à moi, que c’est ma grand-mère paternelle qui a tout manigancé en secret, en l’absence de mon père, parti à Dakar (et non pas chercher ma cousine comme celle-ci me l’avait dit).

Elle m’a dit que, ce matin-là, quand elle est venue nous chercher dans la case de ma grand-mère où nous dormions, ma sœur et moi, elle ne nous a pas trouvées, qu’elle a demandé à ma grand-mère où nous étions et que celle-ci lui a répondu qu’elle nous avait envoyées chez l’exciseuse.

Elle m’a dit que ce n’était pas des choses qu’on faisait dans son village à elle, que sa mère à elle n’aurait jamais fait une chose aussi abominable.

Ma mère m’a dit que mon père ne l’avait jamais crue, qu’il a toujours été persuadé qu’elle avait participé à cette ignominie et que cette année-là et bien après, elle en avait beaucoup souffert.

Sur le coup, je ne l’ai pas crue.

Je n’ai rien dit mais j’ai pensé qu’elle me mentait, qu’elle n’était pas innocente. Je ne sais pas, en me parlant, elle ne pleurait pas, il n’y avait pas vraiment d’émotion dans sa voix. Et puis, surtout, elle n’a pas parlé de moi. Elle n’a pas dit ce que ça lui avait fait de savoir qu’on avait été envoyées à l’abattoir. Elle ne m’a pas parlé de quand elle m’a revue après ça. Elle ne m'a pas dit sa peine qu'on m'ait excisée. J’ai trouvé ça bizarre. J’avais beau l’écouter, je n’éprouvais rien. En fait, ça me faisait comme si elle était comme étrangère à mon excision, juste accusée à tort d'y avoir participé. C’était très étrange. J'avais l'impression que le drame, pour elle, c'était d'avoir été accusée à tort et non pas le fait que nous ayons été excisées, ma soeur et moi.

Ce matin, à froid… eh bien je ne sais plus que croire. Si ça se trouve elle m’a dit la vérité. Elle m’a dit, hier soir, que j’étais comme elle, que j’avais cette pudeur qui m’empêchait d’exprimer mes émotions (c’était confondant, mon père m’avait dit la même chose en substance, il y a quelques années, mais en me trouvant une ressemblance avec lui). Si ça se trouve, hier soir, ses émotions ne transparaissaient pas dans son discours parce qu’elle était trop habituée à ne pas les dire? Et puis pourquoi me mentirait-elle au juste? Rien que l'idée me donne mal au ventre.

Honnêtement, je ne sais pas quoi penser, là, je suis focalisée sur mon entrée à la clinique tout à l’heure alors je crois que je vais mettre ça de côté pour le moment.

Hier soir, elle m’a dit qu’elle avait appelé mon père, qui est en déplacement jusqu’à mercredi soir, pour le prévenir que lui aussi avait reçu une lettre, sans doute la même.

Je ne sais pas si elle lui a fait part de la teneur de la lettre, mais il lui a dit qu’il m’appellerait à son retour, après l’avoir lue.

J'ai bien envie d'entendre sa version de l'histoire, j'espère qu'il m'en parlera....




lundi 14 mai 2007

Enfin

J’ai froid aux pieds depuis hier. Et puis des fourmis dans les jambes. En d’autres termes, j’ai peur en continu depuis que Mercredi se profile nettement à l’horizon.

C’est après-demain. Je me fais opérer après-demain. Je suis un peu incrédule, là. Après-demain. Déjà.

J’ai l’impression que maintenant, le temps file. J’ai peur, mais ce n’est pas douloureux comme anxiété. En réalité, je retiens mon souffle, comme pour ne pas briser un charme, comme devant quelque chose de fragile. Il ne faut surtout pas que quoi que ce soit vienne troubler la marche des jours qui restent. Alors je ne dors plus du tout la nuit, j’ai le regard fixé sur ce 16 Mai qui n’est plus un mirage mais reste ce fragile miracle que je n’ai pas encore atteint.

En catimini (parce qu’il ne faut pas tenter le sort), je commence pourtant à jubiler. Mon Dieu ! Ca y est! Je vais me faire opérer! Ca y est, c’est une réalité ! Je vais sauter le pas et après-demain, je ne serai plus celle que je suis aujourd’hui. Je serai enrichie. Je vais retrouver mon clitoris. Pour de vrai. Je suis toute excitée, toute contente. J’ai un grand sourire, là, que je n’arrive pas à réprimer…

J’ai aussi envie de pleurer. L’émotion, sans doute. Parce que je ne suis pas triste. Ce qui me fait monter les larmes aux yeux, c’est que je me suis autorisé à espérer quelque chose de grandiose. Et que ça va se réaliser. C’est la première fois, je crois…

Je suis presque prête. Dans ma tête, j’ai listé tout ce qu’il faut que j’emporte :
- ma chemise de nuit achetée spécialement,
- une seconde chemise comme il était conseillé sur la fiche qu’on m’avait remise le 02 Mars
- une robe de chambre et des chaussons
- ma trousse de toilette
- deux livres et un magazine
- une jupe et un joli haut pour sortir de la clinique jeudi
- deux culottes et un soutien gorge
- un cahier et un stylo
- le galet porte-bonheur que m’a donné l’une des psys des séances de groupe samedi

J’ai retiré mon vernis à ongles et je me suis épilée. Les deux gestes sont nécessaires et requis par la clinique. Plusieurs jeunes femmes qui ont déjà été opérées me les ont d’ailleurs gentiment précisés.

J’ai quand même eu comme un blocage à l’idée de devoir enlever tous les poils de mon sexe. Je ne savais pas comment m’y prendre. Une jeune femme qui a été opérée et à qui j’ai posé la question m’a dit que les infirmières pouvaient s’en charger à la clinique, mais je ne voulais pas leur confier cette tâche intime. Je ne voulais pas non plus me raser (et si je me coupais ?) ni utiliser une crème dépilatoire (et si je me brûlais les muqueuses ?). Finalement, je me suis fait intégralement épiler par une esthéticienne. Je n’ai pas eu d’accès de pudeur face à elle (contrairement à ce que je pensais) et je n’ai pas eu trop mal. Mon seul regret sera de ne pas avoir pu « préparer » mon corps moi-même.

J’ai maintenant un sexe de petite fille, tout lisse, tout fragile, sans barrière de poils pour le protéger et ça me perturbe. Je ne peux m’empêcher de penser que la boucle est bouclée et que je vais me présenter à la clinique comme j’étais en ce jour noir de mes quatre ans. Ca fait une sensation bizarre. Pas vraiment de la tristesse, mais un peu quand même…

L’heure devient solennelle, grave, symbolique. Et pourtant, j’ai envie de danser…

C’est après-demain. Enfin....

vendredi 11 mai 2007

Alea jacta est

Finalement, j’ai écrit à mes parents pour leur dire que j’allais me faire opérer. J’ai besoin qu’ils le sachent, tous les deux. C’est trop essentiel comme étape dans ma vie. Passer cette opération sous silence revient à passer tout ce qui a changé en moi ces derniers mois sous silence. J’ai besoin qu’ils sachent qui je suis, qu’ils soient au courant de l’événement fondamental qu’est cette opération pour moi.

En plus, j’ai cette certitude curieuse que si je ne leur en parle pas AVANT l’opération, ce ne sera plus possible. J’ai la sensation qu’après, je n’en parlerai pas. Ca ressemblerait trop à un aveu et je n’ai rien à avouer. Je ne veux pas que ma reconstruction soit un secret que je leur dévoilerais un jour dans quelques années.

Et puis j’ai aussi eu envie de briser mon habitude de les tenir à distance, de me rapprocher un petit peu d’eux.

J’ai discuté avec mon homme et j’ai décidé de leur adresser une lettre à tous les deux. J’ai réfléchi toute la journée d’hier à ce que j’allais leur écrire. Pourtant, quand je m’y suis mise, hier soir, j’ai eu beaucoup de mal à la commencer, cette lettre.

J’ai tourné en rond pendant quelques heures, j’ai entamé plusieurs ébauches mais je les ai écartées les unes après les autres : j’avais la sensation de me justifier ou de chercher leur approbation, voire pire, de minimiser l’importance de cette opération pour moi.

Alors j’ai réfléchi à ce que je voulais leur dire au fond, dans ma lettre, à savoir que je les aimais. Et là, c’est venu tout seul et j’ai écrit ma lettre d’une traite, sans la moindre difficulté.

Je suis franchement contente de ce que j’ai écrit. En fait, j’ai adressé, peut-être pour la première fois, une lettre d’adulte à mes parents.

Je l’ai recopiée deux fois. Je voulais certes adresser mes mots à mes deux parents en même temps, mais je voulais que chacun en reçoive un exemplaire.

Ce matin, très tôt, avant d'aller travailler, j'ai posté mes lettres. Normalement, elles arriveront avant le 16 Mai.

Sur le coup, je me suis sentie heureuse, libérée. « Cette fois, j’ai fini mes préparatifs » ai-je même songé.

Mais depuis, j’ai peur de la réaction de mon père. C’est absurde, je sais, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il va être terriblement en colère contre moi. Quant à ma mère, je pense qu’elle n’en parlera pas. Mais au fond, peu m'importe sa réaction, là, ce soir.

Malgré ma peur, je n’ai aucun regret. Les lettres sont postées et le sort en est jeté.



lundi 7 mai 2007

Mon père

Mon père m’a appelée il y a quelques jours. En raccrochant, j’ai ressenti, une fois de plus, cette pointe de dépit, cette tristesse et cette frustration qui ponctuent si souvent nos conversations.

Il y a comme une gêne entre mon père et moi, un truc qui m’empêche d’être détendue et simplement moi-même, quand je lui parle. Je me sens maladroite, je le sens un peu gauche et au final, on ne se trouve pas, on n’arrive pas à établir de passerelle.

Alors je me raconte du bout des lèvres, je truffe mes phrases de mots rassurants. De « je vais très bien », de « ne t’inquiète pas ».

J’ai l’impression que notre relation est un gros ratage. C’est une catastrophe, même. Parce qu’il y a de l’amour entre nous et qu’on n’arrive pas à l’exprimer naturellement.

Mon père et moi, on ne se prend pas dans les bras, on ne s’embrasse pas, on se tient à distance. On n’en finit jamais d’être des étrangers respectueux l’un de l’autre. Pourtant, on rit ensemble, on parle. Mais pas vraiment de lui ni de moi. Ou si peu. On se montre très peu l’un à l’autre…

Il m’a dit une fois que je lui ressemblais, que, comme lui, je n’exprimais pas beaucoup mes sentiments. C’est vrai, je le sais bien, mais je n’arrive pas à changer cet état de fait avec lui.

Ça n’arrivera probablement pas, d’ailleurs, ça n’arrivera probablement plus. Je crois que c’est trop tard.

Ces rapports raides et gauches, ce sont ceux d’un général et d’un soldat, qui, quand il n’y a pas la guerre, sont embarrassés et ne savent pas comment se parler simplement.

Ma combativité, mes valeurs, je les ai reçues de mon père. Toute mon enfance a été bercée par ses discours écœurés sur la place qu’on laisse aux femmes dans la société sénégalaise, par ce mépris qu’il porte à ceux qui n’essaient pas, à ceux qui ne se battent pas, à ceux qui se posent en victimes. Et aussi par la nécessité de placer la vérité, la justice et l'honnêteté au dessus de tout, par le refus de toute tricherie ou de tout mensonge qu'il professait sans cesse.

Mon père voulait que nous fassions des études solides, ma sœur et moi. Il voulait que nous soyons indépendantes, autonomes. Il nous a tenues éloignées des cercles sénégalais machistes. Il nous répétait que nous pouvions faire aussi bien que les hommes. Il voulait que nous devenions des femmes fortes, des femmes fières.

Est-ce parce qu’il n’a pas pu empêcher notre excision ? Est-ce qu’il a alors voulu nous armer pour que nous nous défendions nous-mêmes la prochaine fois que nous serons confrontées à une menace, quelle qu’elle soit ?

Au fond, est-ce que notre excision a eu une influence sur sa façon de nous éduquer?

Je ne sais pas, mais je suis persuadée que sans lui, je ne serais pas là où j’en suis aujourd’hui.

Sans lui, je n’aurais pas lu, observé, écouté, réfléchi et considéré le monde comme je le fais aujourd’hui, en toute liberté.

Sans lui, je n’aurais pas brigué l’excellence, seule possibilité de prétendre en toute légitimité au respect. Sans lui, je n'aurais pas mis la barre si haut, je n'aurais pas été aussi exigeante avec moi-même. Sans lui, je n’aurais pas ravalé mes larmes, je n’aurais pas serré les dents. Sans lui, je ne me serais pas fabriqué une armure. Sans lui, je ne serais pas devenue une guerrière.

Je suis sûre que si je n’avais pas tant douté de son amour pour moi pendant toutes ces années, si je n’avais pas si violemment voulu qu’il m’aime, je n’aurais pas parcouru le chemin que j’ai suivi jusqu’à maintenant. Je ne serais pas devenue un soldat dont il peut être fier.

J’éprouve aujourd’hui pour mon père un mélange de gratitude et de ressentiment pour ce que je me suis imposé par amour pour lui.

Je me rends peu à peu compte du prix que j’ai payé. Je réalise que j’ai sacrifié l’intimité, la confiance, l’amour simple. J’ai caché ma fragilité à mon père pendant si longtemps que je n’arrive plus à faire marche arrière.

Je crois bien que j’ai passé trop de temps dans mon armure. Elle a rouillé. Et maintenant, face à mon père, je ne sais plus faire que le salut militaire…



dimanche 6 mai 2007

7 minutes pour une anesthésie

Vendredi matin, au réveil, j’avais mal au ventre. Je me sentais inquiète, nerveuse.
J’ai passé une matinée chaotique, dispersée, à essayer, en vain, de me concentrer sur mon travail.

A 12h20, j’étais dans le métro pour aller à ma consultation d’anesthésie. J’avais rendez-vous à 14h mais, comme à la consultation avec le chirurgien, je ne voulais pas être en retard. Et puis je n’avais pas faim. J’étais trop nerveuse pour m’arrêter manger quelque part.

Dans le RER qui m’emmenait vers Saint Germain en Laye, j’ai refait l’inventaire de tous les documents qu’on m’avait demandé d’apporter. Pourtant, je les avais préparés mercredi soir et vérifiés jeudi soir et vendredi matin. Mais j’en avais besoin pour me rassurer et calmer mon agitation.

J’avais mes dernières ordonnances, les résultats de mes examens sanguins et les questionnaires à remplir et à signer qui m’avaient été remis le 02 Mars (consentements éclairés du patient en chirurgie et du dépistage du VIH, questionnaire médical d’anesthésie et consentement éclairé du patient en anesthésie).

J’avais suivi le conseil de Claude et préparé une petite liste de questions :
- comment va-t-il procéder pour m’anesthésier exactement ?
- à quoi sert le calmant qu’on donne avant l’anesthésie ?
- combien de temps vais-je être endormie ?
- mon réveil sera-t-il douloureux ?

J’avais très envie de pleurer, là, dans le RER. Il y avait cette peur qui parasitait tout et me faisait monter les larmes aux yeux. J’avais l’impression d’aller à un entretien d’embauche. J’avais le sentiment que le chirurgien et l’anesthésiste allaient me faire une fleur en m’opérant, et qu’ils pouvaient changer d’avis, sans aucun recours pour moi. D’avoir l’impression de dépendre totalement d’eux et de leur bon vouloir me faisait de la peine pour moi-même. Je me sentais impuissante et j’avais envie de pleurer sur moi. Pour moi.

Finalement, je suis arrivée une heure à l’avance. Incapable de rester là à ne rien faire, je me suis forcée à déjeuner en attendant.

A 14h tapantes, j’entrai dans la salle d’attente, les jambes un peu engourdies. C’était là que j’avais attendu ma consultation avec le docteur Foldès. La secrétaire médicale des anesthésistes m’a remis une feuille expliquant les différentes sortes d’anesthésie, les précautions à prendre, les statistiques d’accidents d’anesthésie. Je n’en avais lu que la moitié lorsque l’anesthésiste m’a appelée.

J’ai passé exactement 7 minutes avec Docteur Glaçon. 7 minutes face à un iceberg qui a commencé par prendre ma tension dans un silence pesant. Puis il m’a posé quelques questions, le visage fermé (quels sont les médicaments que je prends ? suis-je allergique ? Ai-je déjà été opérée ?). Il a ensuite examiné les résultats de mes examens sanguins, m’a dit que tout allait bien. Puis il m’a débité un discours rôdé d’une voix rapide, m’expliquant que je ne serai pas intubée mais oxygénée grâce à un masque, que je serai endormie pendant à peu près une heure et demi.

Toujours sans l’ombre d’une étincelle de sympathie, Docteur Froideur m’a indiqué qu’il faudrait que je sois à jeun à partir de minuit, la veille du jour de l’opération. Il ne me l’a pas dit mais j’avais lu sur la feuille d’information que le fait d’être à jeun éliminait les risques d’étouffement en cas de vomissement intempestif. Il m’a aussi précisé de ne pas prendre d’aspirine.

Il a repris sa respiration puis m’a demandé en remplissant le consentement éclairé du patient en anesthésie si j’avais des questions.

Je lui ai demandé à quoi servait le calmant qu’on donne au patient avant l’anesthésie. Il m’a expliqué que ce calmant servait à diminuer ma nervosité, naturelle face à la perspective d’une opération chirurgicale, et à faciliter ainsi mon anesthésie. Je l’ai aussi questionné sur mon réveil, je voulais savoir si j’allais me sentir vaseuse. Il m’a répondu que non, que je me réveillerai comme d’une nuit de sommeil. Si je prends bien les médicaments qui me seront prescrits, m’a t’il dit, je ne ressentirai aucune douleur. Je lui ai parlé de mon patch et il m'a assuré que je pouvais le garder à mon entrée à la clinique.

7 minutes s’étaient donc écoulées et il me ramenait au secrétariat. J’ai payé 28 euros, 4 euros la minute, pour cette consultation d’anesthésie plutôt fraîche. J'étais un peu énervée. Pas à cause du prix, non, à cause de la température du docteur Snow.

Alors, d'accord, la bienveillance, la chaleur humaine et la sympathie ne sont pas des dus, personne n’est obligé de se montrer chaleureux et doux (encore que pour les professions médicales, on puisse débattre de la question), mais quand même, la froideur de l’anesthésiste m’a troublée, pour ne pas dire agacée. Et puis d’être expédiée en sept minutes, ça m’a carrément inquiétée. Je me rassure comme je peux en me disant que je dois être un cas banal et facile, mais c’est surtout le fait de savoir que le docteur Foldès sera là et que je suis sa patiente et non celle du docteur Iceberg qui calme mon angoisse.

Paradoxalement, cette froideur m’a tout de même permis de dédramatiser, d’être pragmatique. A mes yeux, cet après-midi là, mon opération a perdu une partie de sa dimension symbolique et est devenue réelle.

En sortant de la clinique, je me sentais comme en vacances, toute légère. Il faisait beau, chaud et je pensais que maintenant, entre l’opération et moi, il n’y avait plus de démarches à faire, plus d’examens, plus de questionnaires ni de coups de fil à ma mutuelle.

Il ne restait plus que 12 jours.


mardi 1 mai 2007

Point de côté

Dans 16 jours, je vais être opérée. Et pourtant je suis un peu triste aujourd'hui.

Il se passe que j’en ai marre d’attendre. Je n’en peux plus de vérifier mille fois que je n’oublie rien. Je ne supporte plus d'avoir peur. J’en ai assez de ne pas dormir. Je commence à fatiguer sérieusement.

Je veux pouvoir réfléchir à autre chose. Je veux pouvoir faire des projets. En ce moment, j’en suis incapable. Même mes vacances d'été, je n'arrive pas à les organiser. Le 16 Mai prend toute la place.

Je veux m’éloigner du sujet. J’ai envie de ne plus y penser, que les jours passent et que hop, on soit le 15 Mai et que j’entre à la clinique.

J’ai l’impression d’avoir entamé une course d’endurance, un marathon, au moment exact où, le 2 Mars dernier, j’ai dit: « Est-ce que c’est possible au mois de Mai ?». Et là, alors que je vois la ligne d’arrivée là-bas, j’ai comme un point de côté…

Je crois que j'ai une sorte d'indigestion, j'y ai tellement pensé, j'ai tellement réfléchi à mon excision et à ses répercussions sur ma vie, je me suis tellement immergée dans la question que j'éprouve une sorte de ras-le-bol, là...