Il pleuvait très fort mardi après-midi lorsque j’ai quitté Paris pour me rendre à ma seconde consultation postopératoire à la clinique Louis XIV. J’avais les pieds trempés et pourtant, j’étais d’humeur sereine. Dans le RER qui m’emmenait vers Saint-Germain-en-Laye, je n’éprouvais rien de particulier.
Pourtant, à l’approche de la gare, une tension irrationnelle m’a saisie. Alors que je cheminais vers la clinique, dans la ville ensoleillée, elle a grandi et a commencé à engourdir mes jambes.
Comme j’étais arrivée en avance, je me suis arrêtée dans un café, le même que celui où j’avais attendu l’heure de ma première consultation. La tension qui m’étreignait s’est alors muée en peur diffuse.
Ce qui me travaillait le plus, c’était l’idée que ma cicatrisation était peut-être trop lente et qu’il allait peut-être falloir que je revienne à Saint-Germain-en-Laye. Je n’avais pas envie de revenir. Pas avant longtemps, en tout cas.
Il y avait très peu de personnes dans la salle d’attente. Peu de personnes et pas de femmes noires. J’en ai été surprise mais je n’ai pas eu le temps de m’interroger car, à peine assise, j’ai aperçu le docteur Foldès qui se dirigeait vers sa secrétaire. Et curieusement, je n’ai pas été aussi saisie et troublée de le voir que les fois précédentes.
Je n’ai pratiquement pas attendu. Quittant le bureau de sa secrétaire, il est entré dans la salle d’attente et m’a appelée. C’est à ce moment-là que j’ai remarqué que ma peur avait reflué.
Dans son bureau, il a commencé par plaisanter sur ma guitare (j’avais un cours un peu plus tard dans la journée et je l’avais donc trimballée jusqu’à la clinique). Il était souriant et semblait d’excellente humeur.
Il a commencé par me demander à quelle date j’avais été opérée.
Il était en train de compulser un dossier multicolore portant mon nom quand un coup de fil l’a interrompu. Apparemment il s’agissait d’une femme qui voulait convenir d’une date d’opération. Il tournait les pages de son agenda et j’ai pu y voir que tous ses mercredis et vendredis étaient remplis de noms à consonance africain, entourés à l’encre bleue claire. Peut-être étaient-ce là les noms des femmes qu’il allait opérer ?
Après avoir tourné quelques pages, il a demandé à son interlocutrice de le recontacter à la fin du mois de juillet. Puis il a raccroché et m’a indiqué le fond de la pièce, où trônait sa table d’examen.
En se levant, il m’a demandé si ça coulait toujours. « Presque plus » lui ai-je répondu. « C’est normal. Ça ne va bientôt plus couler du tout » m’a-t-il assuré.
Après un rapide examen, il s’est extasié : « Parfait! Vous avez un magnifique clitoris! Bonne place, bonne taille et belle couleur. Il est par-fait ! Vous êtes contente ? ». « Oh que oui » ai-je répondu, toute fière. En vérité, j’étais plus que contente. Je me sentais à la fois ravie et drôlement soulagée que tout aille si bien.
« Vous n’êtes désormais plus une femme excisée ». Elle m’a fait monter les larmes aux yeux, cette phrase. Je considérais que je n’étais plus excisée depuis ma sortie de la salle d’opération mais l’entendre, là, de sa bouche à lui, ça m’a vraiment touchée. C’est comme s’il me libérait de quelque chose. Comme s’il m’absolvait.
Il m’a expliqué que la première partie de ma cicatrisation, la plus difficile, était terminée. J’allais maintenant aborder la seconde partie, celle qui rendrait sa sensibilité à mon clitoris.
Cette deuxième partie, m’a-t-il précisé, était au moins aussi importante que l’opération elle-même.
Et les bonnes nouvelles ont commencé à affluer.
Déjà, finies les toilettes à la Bétadine quatre fois par jour.
Youpiiiiiiiiiiiii!
Adieu, sac de nomade! Adieu, compresses stériles! Adieu, pissette! Notre histoire s’arrête là! Je suis libérée de vous!!
Désormais, et pendant six semaines, je ne dois faire que deux toilettes intimes par jour, une le matin et une le soir, avec de l’eau et… du savon de Marseille. Il a bien insisté sur le fait de n’utiliser ni gels intimes ni gel douche pour nettoyer mon clitoris et mes petites lèvres. Il m’a dit que le savon de Marseille était le seul nettoyant qui n’agressait pas les parties intimes.
Chaque matin (et uniquement le matin), après ma douche, il me faut appliquer sur mon clitoris et mes petites lèvres une noisette d’une crème appelée JONCTUM. Il n’en faut qu’un tout petit peu pour former une fine pellicule protectrice.
Cette crème miraculeuse va constituer une sorte de pansement, ce qui rendra donc « la zone opérée plus confortable » selon ses termes. En outre, elle va permettre à la peau de se reformer et de recouvrir mon clitoris. Enfin, l’application régulière de la crème va avoir pour effet de rendre sa sensibilité à mon clitoris.
Profitant d’un silence, je lui ai fait part de mon inquiétude à propos de mes petites lèvres que je ne voyais toujours pas. Il m’a expliqué que c’était normal, qu’elles étaient bien là, à la base du clitoris mais que ce dernier, qui n’avait pas encore sa taille définitive (excellente nouvelle, je le trouvais justement encore trop gros), les masquait quelque peu. En plus, elles sont assez petites, le procédé de reconstruction choisi étant de faire des injections dans les chairs qui avaient échappées au couteau de l’exciseuse. Je les verrai donc mieux (enfin si l’on peut dire puisque je n’ai jamais eu l’honneur de les voir) dans quelques jours.
Il a enchaîné en me déclarant qu’il m’avait rendu mon clitoris et que ce dernier m’appartenait. «C’est comme si je vous avais rendu un doigt ou votre nez, il fait partie de vous et, à ce titre, n’appartient qu’à vous». Il m’a expliqué que pour retrouver sa sensibilité, il ne me fallait compter ni sur les hommes ni sur qui que ce soit d’autre. « C’est à vous-même de trouver cette sensibilité en apprivoisant peu à peu votre clitoris».
Il m’a dit que les sensations désagréables que j’éprouvais actuellement en touchant mon clitoris allaient disparaître peu à peu dans les prochaines semaines et qu’il faudrait à peu près six mois avant qu’il soit complètement sensible de nouveau.
Je lui ai demandé quand je pourrais reprendre le sport et il m’a répondu que je le pouvais dès maintenant. Même la natation.
J’ai aussi posé la question pour les relations sexuelles. Et je peux les reprendre également dès maintenant. Il m’a dit que ce ne serait pas forcément agréable au début mais que ça serait déjà bien plus confortable. En plaisantant, il m’a demandé si mon homme était pressé. Quand je lui ai répondu que mon chéri voulait lui aussi attendre son feu vert avant de faire quoi que ce soit, il m’a répondu que c’était tout à son honneur.
Là, il y a eu un silence. Et puis je lui ai dit « Merci, docteur. Merci beaucoup ». Ma voix a vacillé pendant que je parlais. Je voulais lui expliquer précisément pourquoi je le remerciais, lui détailler ce « merci ». Mais rien n’est sorti, j’avais la gorge totalement nouée.
Il a opiné de la tête, silencieux et souriant…
En me raccompagnant à sa porte, il m’a dit, en me serrant la main « Bon maintenant, il s’agit de convaincre d’autres jeunes femmes de venir se faire opérer ! ». Je lui ai alors parlé de mon blog et de son sujet. Il m’a dit que c’était une bonne idée, que de lire le récit de femmes qui entreprennent de se faire opérer pouvait peut-être en inciter d’autres à sauter le pas.
C’est vraiment parce que j’ai pour règle de ne pas gazouiller d’aise en public que je me suis contentée de sourire. Parce qu’il m’a été extrêmement difficile de me retenir de ronronner de contentement, là.
«Vous pouvez écrire sur votre blog que je ne suis que médecin. Je ne peux pas pousser les femmes à subir cette opération. C’est un choix qui leur revient. À elles seules. J’accompagne, j’opère mais cette décision de rejeter cette coutume et de vouloir retrouver son corps leur appartient. Je ne peux pas la prendre à leur place » a-t-il ajouté.
«Bon et bien, on se revoit en décembre pour faire un petit bilan?». C’est sur ces mots et sur mon « Oui, d’accord» un peu étranglé par l’émotion que nous nous sommes quittés, le docteur Foldès et moi.
En allant payer ma consultation à sa secrétaire, j’avais un grand sourire. En m’asseyant en face d’elle pour faire mon chèque de 50 euros, je n’ai pas pu m’empêcher de m’exclamer que j’étais conteeeeeente!
Elle m’a demandé pourquoi et je lui ai expliqué que c’était parce que tout s’était parfaitement bien passé. En souriant, elle m’a dit « Vous en doutiez?»
En sortant, extatique, j’avais envie de faire des bonds de cabri. J’ai appelé mon homme et je l’ai noyé sous ma joie, le pauvre (il n’a d’ailleurs rien compris, il a fallu que je lui réexplique tout une fois rentrée).
Puis, alors que j’approchais de la gare, je me suis souvenue d’une question que je n’avais pas posée au docteur Foldès. Je l’ai rappelé et lui ai dit que, toute à ma joie, j’avais omis de lui parler de mes satanés fils qui ne sont toujours pas tombés. Il m’a répondu que c’était imminent, que ça allait arriver dans les deux prochaines semaines.
Yahouuuuuuuuuuuuuuuuuu !
Dieu que j’étais contente.
J’ai, depuis cette consultation, une impression de légèreté incroyable. Dans ma tête, il y a de la musique entraînante en permanence.
Ca ressemblerait à ça le bonheur, que je ne serais pas étonnée du tout!