J’ai eu le fin mot de l’histoire.
Je les sentais m’entraver, je me demandais s’ils allaient se retrouver emprisonnés dans ma chair en reconstitution. Et j’avais la trouille quand même. Je ne pouvais pas les oublier, me dire « Oh et puis ce n’est pas grave s’ils sont toujours en place ». Je n’avais pas du tout envie de vivre avec des fils greffés sur le clitoris jusqu’à la fin de mes jours.
Je suis du genre à me faire du mouron, alors la semaine dernière, je suis retournée chez le docteur Foldès et j’ai eu le fin mot de l’histoire.
Il n’y avait plus de fils. Du tout. Depuis un bail.
Non, non, non, non, ce n'était pas possible ça. Je les ai sentis, enfin! Ils ne pouvaient pas être déjà tombés, voyons. C'était impossible!
Eh bien non, c’était vrai. Les fils étaient des fils résorbables. Ils ont donc « disparu » à peu près cinq semaines après l’intervention, soit vers la dernière semaine de juin.
J’étais bouche bée devant le docteur Foldès. Coite. Je n’en revenais vraiment pas. Comment ça, les fils s’étaient résorbés ? Comment ça, ils étaient résorbables ? D’où sortait cette nouvelle ? Mais alors, je n’avais rien compris du tout ?
C’était énorme. Pendant toutes ces semaines où je croyais sentir mes fils, où j’attendais de les voir pendouiller puis tomber par petits bouts, pendant toutes ces semaines d’inquiétudes et de frustration, il n’y avait pas de fil. Il n’y avait plus de fil.
Je me suis sentie bête sur l’instant. Toute gênée, j’ai répondu au docteur Foldès qu’alors cette consultation n’avait plus lieu d’être puisque je venais parce que j’étais inquiète de ne pas voir mes fils tomber.
Purée, j’aurais pu me contenter de l’appeler au téléphone. Mais non. J’avais fait tout le chemin depuis Paris un jeudi après-midi, partant comme une voleuse de mon travail à une heure indécente juste pour apprendre que ça faisait un bail que mes fils étaient tombés.
Comment avais-je pu passer à côté de cette information capitale à propos des fils ? Comment avais-je pu ne pas comprendre ça ?
Les hypothèses n’étaient pas nombreuses. Soit le docteur Foldès ne m’en avais jamais parlé (mais bon, j’en doutais fort et son air surpris m’a confirmé que cette hypothèse était fantaisiste), soit j’avais mal compris (celle-là me parut vite être la bonne).
C’est toujours le verbe « tomber » que nous utilisions, le docteur Foldès et moi, lorsque nous parlions des fils et de leur disparition. Sauf que nous ne l’entendions pas de la même manière.
Pour moi, quand on dit de quelque chose qu’il va tomber, à fortiori d’un fil, je visualise une chute. Dans le cas que nous étudions actuellement, je vois la chute d’un bout de fil. Je le vois quitter un point A (mon intimité, par exemple) et décrire un mouvement vertical rectiligne vers le bas, ce mouvement n’étant arrêté que par un obstacle sur lequel le fil s’immobilise au point B (le fond de ma culotte ou le sol par exemple). De fait, comme j’avais une image très précise de l’expression « les fils vont tomber », j’étais persuadée que c’était ce qui allait se passer. Les fils allaient chuter et je le verrais.
Sauf que pour le docteur Foldès, manifestement, la définition du verbe « tomber » dans l’expression « les fils vont tomber » n’est pas du tout la même. Pour lui, un fil qui tombe est un fil qui disparaît. On ne s’intéresse pas à la façon dont ils quittent les chairs, mais juste au fait qu’ils les quittent et « tomber » veut alors dire « ne plus être sur la cicatrice ».
Certes, c’est vrai. Mais je n’y avais pas pensé.
Sur le chemin du retour, j’étais partagée entre incrédulité et envie de rire. C’était abasourdissant, cette nouvelle. Et puis, dans le RER qui me ramenait vers Paris, j’ai été contente. Il n’y avait plus de fils. Tout était terminé et je pouvais définitivement clore le chapitre de ma cicatrisation.
En réalité, ça faisait quand même des semaines qu’il était clos, ça faisait des semaines que j’hésitais à aller voir le docteur Foldès pour me tranquilliser l’esprit. Alors bon, savoir que la fin de ma cicratisation était déjà loin derrière moi a fait que ma joie fut quand même modérée.
Ce soir, j’ai relu le document qu’il m’a remis le lendemain de l’opération et qui s’intitule « Suites immédiates de la chirurgie réparatrice du clitoris ».
Et il est écrit : « Les fils de suture utilisés sont résorbables, il n’y a donc pas besoin de les faire enlever, ceux-ci tomberont d’eux-mêmes dans les cinq à six premières semaines».
Alors d’accord, d’accord, j’avais totalement zappé le mot « résorbables » mais j’avais retenu la phrase « ceux-ci tomberont d’eux-mêmes dans les cinq à six premières semaines ». Et cette phrase veut bien dire ce qu’elle a l’air de dire, non ?
Moi je dis que oui : elle a l’air de dire que les fils vont se détacher tous seuls. Et tomber.
J’ai donc passé des semaines à attendre que tombent des fils qui s’étaient volatilisés depuis belle lurette.
Voilà le fin mot de l’histoire.