mercredi 28 février 2007

J - 2 avant la consultation

Après-demain, je vais rencontrer le docteur Foldès. J'ai peur et je ne peux pas m'empêcher d'espérer.
Je ne doute pas que mon excision peut être "réparée". Je n'envisage pas qu'il puisse me dire "non mademoiselle, désolé mais je ne peux rien pour vous". Lors d'une interview, il a dit que tous les types d'excisions pouvaient être "réparés". Je n'ai pas subi la forme la plus extrème d'excision. Si je me réfère aux descriptions qu'on trouve sur le net, j'ai subi une excision de type 2 aussi appelée clitoridectomie (ablation totale du clitoris et des petites lèvres). Ma cousine, qui a subi la même chose m'a dit qu'on "avait eu de la chance". C'est sûr que comparée à la forme d'excision dite pharaonique (avec infibulation qui ne laisse qu'un petit trou pour le passage de l'urine et du sang des règles), j'ai eu de la chance. Mais j'ai du mal à associer les mots "chance" et "excision".
Ce qui me fait peur, c'est... et si ça ne changeait rien? Tout à l'heure, j'ai lu sur un blog le commentaire d'une femme qui a été opérée et qui dit toujours se sentir excisée dans sa tête. Et si ça m'arrivait aussi? Si après avoir espéré aller mieux psychiquement, cette opération ne m'apportait pas cette confiance et cette sérénité que je cherche depuis si longtemps et ce malgré ma thérapie?
Et puis il y a l’aspect sexuel de la question. J'ai envie d'éprouver plus de désir et plus de plaisir. J'ai envie de savoir ce que ça fait d'avoir un orgasme. Et là aussi, j'ai peur. Et si mon clitoris retrouvé ne me procurait pas ces sensations que j'envie tant aux autres femmes?
J'ai aussi peur de tomber sur un homme froid et distant qui expédierait la consultation en quelques minutes, pas concerné par ma personne. J'ai besoin qu'il me voie vraiment, qu'il comprenne l'importance de toute cette démarche pour moi. J'ai eu ma cousine au téléphone avant-hier. J'avais envie de parler de cette consultation avec elle, mais elle ne semblait plus aussi intéressée par la question qu'au mois de janvier. Aujourd'hui, j'ai l'impression d'être seule sur ce chemin.
Et j'ai peur de placer une fois de plus, tous mes espoirs dans une chimère.
Quand je m'autorise à rêver et à espérer, j'imagine de la joie: la joie de ne plus sentir cette cicatrice qui barre mon sexe, la joie de me sentir une femme à part entière, la joie de jouir. Me sentirai-je plus féminine que maintenant? J'ai lu des témoignages de femmes opérées qui se disent plus épanouies. Mais je ne comprends pas ce que ça veut dire "plus épanouies". Ont-elles plus confiance en elles? S'aiment elles d'avantage? Sont-elles moins dures avec elles-mêmes? Sont-elles plus joyeuses? Mesdames et mesdemoiselles, si l'une d'entre vous passe par ici, pouvez-vous m'éclairer?

mercredi 21 février 2007

Le chirurgien miraculeux

Quand on cherche des informations sur l'excision sur Internet, on tombe immanquablement sur une référence au Docteur Pierre Foldès, premier chirurgien à s'être penché, avec succès, sur la reconstruction des clitoris excisés.
J'avais lu une interview de lui sur plusieurs sites web durant l'été 2005 alors que j'évoquais la question de mon excision en thérapie. Curieusement, je ne m'étais pas renseignée plus que ça. Me renseigner, prendre rendez-vous me paraissait trop dur, trop compliqué. Je voulais pouvoir m'en passer. Mon excision, à cette époque, je la minimisais beaucoup. "Je n'en ai pas besoin", "je peux vivre sans", "En plus, une opération! C'est quelque chose de lourd". J'ai fini par oublier cette possibilité.
Avec le recul, ce qui m'a retenue le plus, je crois, c'est que je n'aurais pas pu cacher le fait de me faire opérer à mes parents. Il aurait fallu que je leur en parle et ça, c'était impossible. Je ne pouvais pas le faire sans leur consentement et leur consentement, je ne l'obtiendrais jamais, j'en étais sûre. Pas la peine d'essayer, même. Je n'avais même pas envisagé de me passer de ce consentement.
Lors du groupe de thérapie de janvier 2007 au cours duquel mon excision s'est imposée à mon esprit, j'ai dit que je croyais que ça m'était arrivé lorsque j'avais deux ans et demi ou trois ans. Ma psy me l'a fait remarquer en séance individuelle. A elle,j'avais dit quatre ans.
Alors j'ai voulu savoir. En savoir le plus possible sur ce qui s'était passé. Je n'aurais pas osé en parler à ma mère ni à mon père. Ma soeur, elle, refusait d'en parler et s'énervait quand je mettais le sujet sur le tapis. Un matin, dans le métro, j'ai eu l'idée d'appeler ma cousine. Elle a été élevée par ma mère et vivait avec nous à l'époque, j'en étais sûre.
J'éprouvais de l'appréhension ("Et si elle aussi refusait de m'en parler?") et j'ai été très surprise de la facilité avec laquelle elle m'a parlé. J'ai été excisée à quatre ans, en même temps que ma soeur, dans le village de mon père à l'instigation de ma mère et de ma grand-mère paternelle. Mon père n'était pas là ce jour-là. Il était allé chercher ma cousine chez son père. Ca s'est fait dans son dos. A son retour, il est entré, m'a dit ma cousine, dans une colère noire. Il a dit qu'il voulait divorcer de ma mère. N'eût été les supplications de ma grand-mère qui prétendait porter toute la responsabilité de notre excision, il l'aurait peut-être fait.
Ma cousine m'a fait un cadeau en me racontant tout cela. Pendant des années, j'avais cru que mon père, s'il n'était pas de mèche avec ma mère, avait au moins fait preuve d'une certaine indifférence pour ces "histoires de femmes". J'avais aussi cru que cela s'était passé dans le village de ma mère et que c'était ma grand-mère maternelle qui avait tout organisé. C'était complètement faux. J'en ai voulu à mon père, persuadée qu'il ne m'aimait pas et j'ai haï ma grand-mère maternelle pendant toutes ces années. Toutes ces années...
Ma cousine m'a parlé aussi de son excision, de la colère qui ne l'a jamais quittée et ensuite, elle m'a demandé si je comptais me faire opérer. C'est à partir de là que j'ai commencé à rechercher des informations sur l'excision et la reconstruction sur Internet.
J'en ai parlé à mon homme qui m'a encouragée à me renseigner directement en prenant rendez-vous. Je n'avais toujours pas décidé de me faire opérer mais j'ai noté les coordonnées de la clinique où officie le Docteur Foldès.
Et puis une semaine plus tard, assez nerveuse et angoissée, j'ai appelé pour avoir quelques renseignements sur l'opération.
La femme que j'ai eu au téléphone m'a expliqué que je devais prendre un rendez-vous en consultation au cours duquel le docteur m'examinerait et me dirait si une reconstruction est envisageable. Puis il me programmerait pour le bloc. Quelques jours à quelques semaines avant l'opération, je devrais rencontrer l'anesthésiste (l'opération se fait sous anesthésie générale pour ne pas raviver le souvenir de l'excision). L'hospitalisation pour l'opération est de 48h. Ensuite il y aurait des visites de contrôle à deux semaines, un mois et six mois, je crois. J'ai dit que j'allais réfléchir un peu, la femme m'a dit de prendre mon temps et j'ai raccroché.
J'étais contente d'avoir appelé, d'avoir osé le faire. Oui, j'étais fière de moi, et surtout soulagée de savoir qu'une reconstruction de mon clitoris était possible et à ma portée.
A partir de ce vendredi soir-là, j'ai eu peur. J'avais lu sur Internet que le docteur Foldès avait reçu des menaces de mort. Et j'avais peur qu'il meure avant d'avoir pu m'opérer, peur qu'après l'avoir aperçu et y avoir rêvé, l'espoir de retrouver un jour mon clitoris ne s'envole. A l'époque, je pensais qu'il était le seul chirurgien à pratiquer l'opération en Europe. Je me rassurais en me disant qu'il avait formé des chirurgiens burkinabés et qu'au pire, j'irais me faire opérer au Burkina Faso. Mais j'y pensais sans arrêt, à sa mort. Et j'avais vraiment peur. Je ne voulais pas trop espérer.
C'est peut-être la peur qu'il meure bientôt (je suis allée jusqu'à vérifier son âge), c'est peut-être le fait de lire dans le journal qu'ARTE consacrait un théma à l'excision le soir même, c'est peut-être autre chose, je ne sais pas. Mais le 06 Février 2007, j'ai appelé la clinique pour prendre rendez-vous pour une consultation avec le docteur Pierre Foldès.
En thérapie, j'ai découvert que je pouvais me passer du consentement de mes parents. Je ne suis pas obligée de le leur dire. C'est de mon corps et de ma vie qu'il s'agit. Ma psy m'a dit que je m'émancipais en prenant cette décision, que je m'autorisais à vivre ma vie d'adulte.
J'ai rendez-vous le 02 Mars 2007 à 9h15 et je compte les jours jusqu'à vendredi prochain.

lundi 19 février 2007

La femme derrière l'excisée

J'ai 30 ans, je suis d'origine sénégalaise et je vis à Paris. J'ai un travail bien payé qui me permet de vivre confortablement. Je vis avec mon compagnon dans le sud de la ville.
Quand j'avais 4 ans, ma mère m'a faite exciser. Et ça a bousillé ma vie.
L'excision que j'ai subie, je n'en garde aucun souvenir, c'est ma cousine qui m'a dit à quel âge ça m'était arrivé. Je sais que j'ai été excisée en même temps que ma grande soeur. Ma mère pensait que nous ne nous en rappelerions plus ("les enfants oublient" a t'elle dit). Pourtant, bien que je ne me souvienne pas de ce jour-là ni de ce qui m'est arrivé, je savais, bien avant d'interroger ma cousine, que j'avais été excisée ainsi que ma grande soeur.
Pendant longtemps, je ne me suis pas posé de question, c'est quelque chose qu'on fait chez les Mandingues de Casamance. C'était comme ça, voilà tout.
Quand j'ai atteri chez une psychothérapeute il y a 6 ans, je n'y pensais pas non plus. Je souffrais, j'avais du mal à vivre, j'avais peur tout le temps qu'il m'arrive quelque chose, peur de mourir ou de devenir folle. Et surtout, je ne comprenais pas ce qui m'arrivait, pourquoi c'était si difficile de vivre. J'avais été une enfant sage, obéïssante, presque effacée. J'avais fait des études solides d'ingénieur, cherché du travail avec sérieux. J'avais toujours tout fait parfaitement, j'étais quelqu'un de bien, de gentil alors pourquoi avais-je l'impression tenace d'engager ma vie à chaque action, fut-elle anodine comme aller à la Poste? Pourquoi avais-je si peur? Pourquoi étais-je si triste? Pourquoi me sentais-je si seule?
C'est ma psy qui m'en a parlé la première. Une question, au bout de quelques mois. "Avez-vous été excisée?". Je lui ai dit "oui" puis je suis passée à autre chose. J'avais des problèmes à régler et l'excision me paraissait complètement déconnectée de mes angoisses et du gouffre dans lequel j'essayais de survivre.
Il a fallu plusieurs années de thérapie pour que j'accorde du crédit à ce que me disait ma psy, comme quoi l'excision était l'une des causes de mes problèmes. Il a fallu encore plusieurs mois pour que je comprenne à quel point elle avait raison.
En plus de ma thérapie individuelle, je suis, un samedi par mois depuis un an et demi, un groupe de thérapie. Lors de la séance de Janvier, j'ai voulu travailler sur une "tendance dont je voulais me débarrasser". Quand quelqu'un me parle d'une situation à laquelle il a dû faire face, ou même à laquelle il va devoir faire face, c'est plus fort que moi: je me demande si j'aurais pu m'en sortir, moi, dans la même situation. Je réfléchis avec inquiétude à la façon dont il faudrait que je m'y prenne. Et je n'arrête pas avant d'avoir trouvé. Une fois, un ami m'a dit qu'il voulait s'acheter une voiture. Hop, ma moulinette cérébrale s'est mise en route: "et moi, comment est-ce que je ferais pour m'acheter une voiture? A qui demanderais-je conseil?" alors que je n'ai aucun besoin de voiture, je n'ai même pas le permis! Je voulais me débarrasser de ce besoin incessant de vérifier si je me sortirais de n'importe quelle situation.
En clarifiant avec les thérapeutes, j'en suis venue à leur demander de m'aider à me débarrasser de l'angoisse de me retrouver un jour dans une situation dangereuse sans savoir comment me sauver. Et ça a déclenché des cascades de larmes... Je n'ai pas expliqué aux autres membres du groupe de thérapie mais j'ai tout de suite pensé à mon excision.
Ce que je voulais, c'était un moyen de m'assurer que je ne me retrouverai plus jamais dans une situation semblable à l'horreur de l'excision.

Depuis, je fais peu à peu face à cette excision qui a bousillé ma vie, cette monstruosité que j'ai voulu oublier, cette sauvagerie qui a eu un impact si important sur moi, tellement important.

J'ai cherché, sur Internet, des témoignages de femmes excisées. Je ne peux pas en parler à ma mère, c'est un sujet totalement tabou. Ma soeur refuse d'en discuter. Il n'y a eu jusqu'ici que ma cousine pour accepter de m'en parler. J'ai cherché pendant plusieurs semaines sur Internet, pour une récolte maigre, très maigre. Alors j'ai décidé d'écrire ce blog, d'y témoigner, d'aider, peut-être, une femme ou une jeune fille qui a été excisée et qui cherche d'autres femmes qui ont subi la même chose sur Internet. J'ai aussi besoin de mettre à plat le chemin que j'emprunte cette année, le chemin de ma reconstruction.